jeudi 13 décembre 2007

Chapitre 22

22

04/09/3023 Datation légale de Valence.

22H / 24 : horaire du vaisseau potentiellement innocente

Les choses vont vite. Le patron a un plan. Comme à son habitude, il ne nous en a pas parlé mais dès le lendemain, nous nous sommes arrimées à la station V45. Une des dernières stations entièrement conçues par des intelligences artificielles. Un vrai décor de cinéma tant c’est propre et dessiné au cordeau. Un rectangle d’à peine 3 km de long sur 500 m de large. Une grande esplanade centrale entourée d’immeubles de verres fumés qui brillent face à un petit soleil rouge orangé. Un système de gravité centrale lui permet de présenter deux faces, totalement identiques, avec la même esplanade et des immeubles semblables des deux cotés. Comble du luxe, elle tourne sur elle-même pour présenter chaque face au soleil selon l’horaire déterminé par l'IA. Quand tu en as marre de bosser, tu prends un puit antigravité qui traverse la station et tu te retrouves dans une ambiance nocturne de fête et de jeux. Bien sur, ce n’est pas cet aspect qui intéresse Nanti. Je devinai pourquoi nous étions venu ici. Ma famille habitait cette station depuis une dizaine d’années. Mon frère tenait un magasin de pièces détachées. Ses affaires marchaient pas mal. Du moins, son commerce frisait la faillite comme tout le monde mais son marché parallèle de vente dans des secteurs légèrement moins légaux lui permettait de subvenir aux besoins de sa petite famille. Du coup, c’était l’exemple de la famille aux yeux des parents. Alors que moi, je gagnai peut-être moins mais je trimais dur et mon travail était honnête. Ou presque. Ma mère devrait le reconnaître. Mais non, il y en avait toujours que pour mon frère qui s’occupait si bien d’eux. Et Miles ceci et Miles cela. Ma sœur et moi, nous n’étions que des bons à rien à l’entendre.

Bref, c’est la vie. Pour une fois, Nanti me donna quartier libre de suite Aussi, à peine un quart d’heure après l’arrimage du potentiellement innocente, j’entrai dans l’échoppe de mon frère. Parce que je le connaissais, je perçus le mouvement rapide de son bras derrière le comptoir. Il avait dissimulé un objet et vantait maintenant les performances d’un écran de synthèse à un client qui fit mine de s’y intéresser avec un certain talent de comédien.

Puis Miles, c’est le nom de mon frère, me reconnut et m’ouvrit les bras. Je me contentais de frapper dans ses paumes ouvertes par dessus le comptoir. Les grandes effusions, c’est bon dans l’intimité. Son client s’empressa de dire qu’il repasserait. Miles hésita, me présenta comme son frère. Une façon de dire qu’il pouvait négocier devant moi mais l’autre répéta qu’il repasserait.

« Tu m’as fait louper une vente » s’exclama mon frère. Mais son sourire démentait le sérieux de la chose. Il était heureux de me voir. Et je dois avouer, moi aussi. Bien sur, il m’horripile avec sa pseudo réussite, mais c’est mon frère et au fond, je l’aime bien. Du moins à condition de limiter nos entrevues à cinq minutes par an.

On embraya sur les questions classiques : genre calculer depuis combien de temps on ne s’était pas vu, comme si c’était important ensuite il tenta de me convaincre de m’installer chez lui tant que j’étais dans le coin et j’arrivais à refuser en disant que j’ignorais le temps que je resterai. Il n’insista pas. Au fond, il me proposait ça juste pour me rappeler qu’il ne vivait pas dans son commerce mais qu’en plus de ce local, il avait un espace privatif à lui. Et pas un simple studio mais un appartement de plusieurs chambres dont une pour notre mère.

J’en profitai pour demander des nouvelles de maman et il me dit qu’elle sera désolée de m’avoir manqué mais que, comme elle lui semblait fatiguée, il lui avait offert un petit séjour en cure de remise en forme. Il me dis aussi que ma sœur se portait bien et attendait un deuxième enfant ce qui mettait maman en joie. Il s’arrangeait pour obtenir une communication haut débit une fois par mois avec elle. Ca coûtait cher mais faisait si plaisir à mère. Tu m’étonnes qu’après maman préfère Miles à moi. Dire que il devait sans doute donner des pots de vin mirifiques pour que les yeux ne se tournent pas vers son commerce.

Il continua en détaillant toutes ses réussites de l’année et quand, enfin, il me demanda ce que je devenais, je ne pouvais plus le saquer.

« On se la joue dans la sorcellerie » dis-je négligemment histoire de faire mon petit effet.

« Ha dit-il d’un ton dédaigneux. Toujours à faire les livraisons de cet escroc de Marvin ».

Comment osait-il traiter Marvin d’escroc avec ce ton dédaigneux comme si lui n’était pas un vulgaire escroc !

« Oui, enfin, maintenant, nous avons notre propre Sorcière dissimulatrice et créatrice d’ombre. Mais nous avons aussi joué avec la téléportation et ça nous pose quelques problèmes avec Valence ainsi qu'avec le peuple Sylphide ».

J’eus la satisfaction de voir mon frère blêmir puis il prit un air de compassion écœurant avant de répliquer « ho, Mérino qu’as-tu encore fait ? »

Comme si c’était de ma faute. Aucune envie qu’il me fasse la morale celui-là « Nanti va sans doute passer t’acheter deux ou trois trucs.

Mon frère reprit aussitôt le sens des affaires « De quoi a-t-il besoin ?

A vrai dire, il ne me l’a pas dit mais j’imagine que si il est venu ici et m’a proposé d’aller embrasser ma famille c’est qu’il avait à te demander quelque chose.

Miles secoua la tête. « Comment supportes-tu de vivre ainsi. Nanti te traite comme un esclave. Trouves-tu normal qu’il ne te confie même pas ce dont il a besoin ? N’a-t-il pas confiance en toi après tout ce temps ? »

Tu veux ma main dans ta gueule pensais-je. Il jouait au preux grand frère mais uniquement pour me rabaisser, c’était évident. J’avais envie de lui faire avaler sa condescendance, c’est juste que je ne voyais pas comment.

Il continua en disant qu’il pourrait me trouver une place dans sa boutique. Ca me donnerait au moins une certaine stabilité. Comme si j’allais rester à vendre ses merdes dans une base spatiale étriquée.

Nanti arriva et ça mit fin à cette embarrassante conversation. Il regarda à droite et à gauche s’assurant qu’il n’y avait personne, se dirigea vers le comptoir et me dit de sortir pendant qu’il conversait avec mon frère. Miles me jeta son nouveau regard désespéré sur ce que j’étais devenu. C’en était trop. Je jouais le tout pour le tout et dis que je préférais rester. Si Nanti m’ordonnait de sortir ce serait l’humiliation suprême mais au point où j’en étais. Le patron hésita. Son regard passa alternativement de moi à mon frère avant de revenir sur moi et son sourire s’élargit. « Mais comme tu veux mon ami » dit-il. Je m’obligeais à ne pas laisser transparaître mon étonnement tandis que Nanti reprenait pour Miles. « Il me faut un communicateur longue portée ».

Mon frère, très pro sortit quelques spécimens d’une vitrine et Nanti l’arrêta. « Voyons, je ne pensais pas à de tels gadgets référencés, non il me faut des communications rapides et indétectables. Surtout indétectables ». Mon frère fronça un sourcil puis le sens des affaires prit le dessus. Il tritura un bouton sous son comptoir et un écran apparut sur la vitre du comptoir. Il y fit défiler plusieurs modèles en trois dimensions expliquant les caractéristiques des différents éléments.

Nanti en désigna un du doigt.

Miles secoua la tête. « Je peux vous le procurer mais même en faisant le prix famille, je ne pourrais pas vous l’avoir à moins de 5000 crédits. Je ne pense pas que ce soit dans vos cordes. »

Je retins un cri. 5000 pour un simple communicateur, ça frisait le délire.

« C’est un tarif honnête et les autres modèles ne passeront pas les fouilles de sécurité de la flotte de Valence » dit-il comme si c’était naturel, « celui là, peut être implanté. »

Mon frère était atterré là. « Même implanté, rien ne peut passer, les scanners le détecteront.

- Pas s’il est porté sur un implant psychique. Le premier implant le dissimulera et Valence se fait un devoir de laisser passer les sorciers.

- Non » dit mon frère sur de lui avec cette arrogance qui lui était propre, « il faudrait que l’implant psychique soit plus puissant que le communicateur et ce petit bijou » dit-il en montrant l’hologramme, « même très discret, il a un émetteur neural qui vaut un bon implant psychique.

- Je ne me fais pas de soucis pour ça, cette breloque ne vaut rien comparer à l’implant de Maelie. »

Nanti me jeta un regard de travers. Ok, j’en avais peut-être trop dit mais

Ca faisait du bien de voir mon frère ravaler sa fierté.

« Mérino m’a dit que vous aviez engagé une sorcière en effet. J’espérais que c’était une mauvaise blague.

- Non », coupa Nanti, « nous commerçons avec la belle d’été et les produits que nous en retirons attirent les convoitises. »

Mon frère avait maintenant la bouche ouverte mais sans pouvoir dire un mot. Il avait toujours eu une frousse bleu de tout ce qui se rapprochait de près ou de loin aux mondes parallèles. Nanti continuait. « Nous avons à faire sur l’impérium mais je préfère être bien protégé. Si vous aviez un écran protecteur aussi.

- Le vaisseau de Valence !

- Oui, évidemment. » Nanti s’arrêta et regarda mon frère plus attentivement. Ce dernier était mort de peur. « Ca ne va pas ? » lui demanda-t-il « vous êtes tout pâle.

- Non mais c’est dangereux ».

Nanti éclata de rire. « Voyons, nous avons l’habitude, bref » dit-il « quand pouvons nous avoir le communicateur, c’est le plus urgent

- Je ne sais pas, je dirais dans trois jours.

- On dira donc deux jours, ça laissera le temps à mon second de profiter de sa mère. »

Second, c’était beau ça.

« Elle n’est pas là » dit Miles comme récitant un texte « elle était fatiguée et je lui ai offert une cure sur la station B3. »

Nanti prit l’air affligé. « J’espère que c’est passager. Si c’était ma mère, je ne l’aurais pas envoyé sur la B3, c’est très populaire. Elle devrait aller passer un séjour sur ce vaisseau croisière. Comment s’appelle-t-il déjà Mérino, tu sais, le dernier sur lequel nous avons passé quelques jours ?

- Le Val d’été.

Non » dit Nanti, « celui où il y a une piscine. »

Nous n’en avions pas vu avec piscine mais ce n’était pas important, mon frère avait perdu toute son arrogance, ce n’était qu’un petit escroc maintenant alors que moi j’étais accepté sur les vaisseaux de Valence et je commerçais avec les vaisseaux croisière.

« L’océan bleu » dis-je. Nous n’avions pas encore eu l’occasion d’y aller mais quelle importance, mon frère ne serait pas en mesure de vérifier.

« C’est ça dit Nanti.

Je continuais le jeu de Nanti : « Mais pour ma mère, il lui faut quelque chose de plus calme. Le bucolique lui conviendrait mieux.

- Sans doute » dit Nanti, « je m’y suis ennuyé à mourir mais en effet pour se reposer, il est agréable et sa population est un peu plus évoluée que la B3. Bref, Miles, vous serez gentil de nous faire livrer le communicateur discrètement, pour l’écran protecteur, on verra plus tard ».

Il s’était recroquevillé derrière le comptoir. « Je ne livre pas.

- Dans ce cas vous ferez une exception pour nous » dit Nanti en se dirigeant vers la porte.

« Oui, évidemment » dit Miles

Nanti se tourna vers moi comme si mon frère n’existait plus. « Ton frère a raison de donner une apparence si pitoyable à sa boutique, c’est plus discret ».

Je profitai d’avoir le dos tourné pour faire un grand sourire, j’imaginai la tête de mon frère qui devait avoir tout entendu. Lui qui se vantait d’avoir la plus belle boutique du secteur. Je ne pus m’empêcher d’en rajouter une couche avant de sortir.

« Voyons patron elle est très bien cette boutique. C’est juste que nous avons l’habitude de stations plus chics. »

Je refermais la grille de la boutique. Ca faisait un bien fou de le remettre à sa place ainsi. Avec Nanti ça paraissait si simple d’être quelqu’un. J’hésitai entre le remercier de son intervention ou lui demander l’utilité de mettre 5000 crédits dans un implant communicateur. Je choisis une troisième option. « Vous pensez vraiment que Martel est vivant ?

- Je ne dépense pas mon argent pour des morts »

S’il le pensait, je le pouvais aussi.

« Mais vous avez un plan ?

- Oui. »

Dans ce cas, j'étais rassuré. « Vous pensez sincèrement qu’on a de quoi se payer un écran protecteur supplémentaire ?

- Non, ça s’est pour la frime devant ton prétentieux de frère.

- Ca veut dire qu’on n’en a pas réellement besoin. Je veux dire, personne ne risque de nous tirer dessus.

- Si ». Il fit une pause le temps que j’avale de travers « Mais nous n’avons pas de quoi nous payer un écran alors on s’en passera.

Je m’étais résigné à ne pas en entendre d’avantage quand Nanti parla de lui-même : « Tu m’as parlé d’une fille ici, une danseuse. »

Nanti que s’intéressait aux filles ! Voilà qui était nouveau. Je le regardais d’un œil neuf. Il n’avait pas changé. « J’ai vécu un moment ici. Je connais pleins de filles. Je peux vous arranger des bons coups ».

J’avais du mal interpréter sa question car je me suis retrouvé avec un de ses bons coups derrière la tête dont il avait le secret.

« Une danseuse qui se produisait sur l’Impérium.

- Une danseuse de l’Impérium ? ha oui, Cristal. »

Cristal était un canon, une fille superbe qui dansait dans certains bars. Elle faisait de ses trucs autour d’une simple barre verticale. Une véritable artiste. Nanti avait une sacré mémoire, je lui en avais à peine parlé juste pour me justifier en lui disant que ce n’était pas une pute mais une véritable artiste qui avait passé une année entière sur l’Impérium.

« J’ai peut-être exagéré un peu patron. C’est vrai que c’est une très bonne danseuse mais dans cette troupe, je crois qu’elle s’occupait plutôt des accessoires, elle était genre, remplaçante mais ce n’est pas une pute.

- Avec qui elle couche et pour combien m’importe peu Mérino. Est ce qu’elle a passé du temps sur l’Impérium ?

- Mais elle ne couchait pas. » Bon, d’accord, ce n’était pas le sujet

« Elle a dû passer un an sur l’Impérium, peut-être deux.

- Récemment ?

- Elle est revenue il y a deux ans si je ne m’abuse

- Alors, tu me la retrouves, je veux savoir toutes les procédures de contrôle mises en place pour les visiteurs ».

J’aurais dû me douter que ce n’était pas sexuel, avec Nanti, ça ne l’est jamais.

Chapitre 21

21

03/09/3023 Datation légale de Valence.

23H45 / 24 : horaire du vaisseau potentiellement innocente

Maelie s’est éclipsée et elle n’était pas dans ses quartiers. Je crains qu’elle fasse des bêtises, je ne sais pas quoi mais comme on dit, elle est capable du meilleur comme du pire mais c’est dans le pire qu’elle est la meilleure. Je la trouvais sur l’espace extérieur du vaisseau. C’est vrai qu’il y a là une belle superficie qu’on ne sait pas comment utiliser. Une face externe est prise par la salle de contrôle et les autres faces, on en fait rien car quand on s’arrime à une station on devient dépendant de son état de gravité et les autres faces deviennent verticales, donc impraticable mais dans l’espace, la gravité étant placée au centre du potentiellement innocente, entre la surface externe et les champs de force, nous avons de la place. Il y a d’abord eu une ombre juste à l’extrême limite de mon champ de vision, puis une bête qu’on ne trouve que dans nos pires cauchemars s’est jetée sur moi. J’ai crié et le monstre m’a traversé. Le temps de retrouver la raison et je débarquais dans un océan emplit de poissons et coquillages en tout genre. J’avais déjà vu ça en deux dimensions dans un documentaire. C’était flippant. Mais en troisD, il y a vraiment de quoi faire une crise cardiaque.

Maelie est couchée sur la coque externe du vaisseau. Je m’installe à ses cotés, la tête submergée par ce décor qui recouvre tout le champ de force externe. Des bêtes en tout genre passent au dessus de la tête. Je décris le temps de m’en remettre et pose enfin la question fatidique :

« C’est quoi ça ? »

Maelie soupire. « C’était une surprise. J’ai commandé cette babiole quand on a livré la terre. Je me suis dit que ça vous ferait plaisir.

- Et on peut visionner des films sur ce truc ?

- Bien sur, c’est fait pour.

- Géant. » Je me tournai vers Maelie, c’était vraiment une brave fille. Je savais que ses priorités allaient vers des choses plus futiles, des trucs de filles mais elle avait dû dépenser une fortune pour cet écran 3D. Elle soupirait à nouveau.

« On retrouvera Martel ». Un pieux mensonge ne fait pas de mal.

« On mettra tout en œuvre pour le retrouver ». Mais la vérité, c’est mieux.

Elle soupira de nouveau. Je commençais à me demander sérieusement si elle n’en pinçait pas pour notre petit gars.