samedi 16 février 2008

Chapitre 27

27

20/09/3023 Datation légale de Valence.

14H00 / 24 : horaire du vaisseau potentiellement innocente

Compte rendu du potentiellement innocente :

C’était hier soir, ou plutôt cette nuit enfin, très tôt ce matin. J’avais encore la bouche pâteuse de quelqu’un qui avais la gueule de bois alors que je n'avais bu que…? Oui bon, j'avais trop bu, beaucoup trop. Nous étions restés tard. Nanti était d’humeur loquace. Non, ce n’est pas le terme. Il était plutôt d’humeur à nous écouter. C’est rare. Nous en avions profité, surtout moi. L’alcool aidant, je n’ai plus hésité à lui dire combien je trouvais sa conduite inqualifiable. Nous avions déjà perdu Martel et il avait envoyé Maelie seule en territoire ennemi. C’est une gamine. Non seulement elle n’a aucune chance seule mais en plus, de notre coté, nous étions affaiblis sans elle. Nous devions rester soudé pas nous éparpiller pour mieux nous faire tuer les uns après les autres. C’est un peu près le discours que j’ai tenu.

Thymothe s’est moqué de moi sous prétexte que je qualifiais de gamine une immonde créature qui m’avait fait mouiller mon pantalon. Ce n’était pas vrai. J’avoue, j’avais peut être émis un cri la fois où je m’étais réveillé d’une sieste dans la pièce commune pour me retrouver nez à nez avec la gueule d’une ombre en forme de dragon à deux têtes mais Thymothe a crié bien plus fort quand la forme s’est disloquée et tombée en gouttelette rouges brûlantes. J’ai peut-être eu quelques mots contre Maelie ce jour là. Les mots dépassent vite la pensée et elle s’était excusée. Quand j’ai compris que la petite avait comme plan de se faire embaucher pour recueillir des informations, j’ai craint le pire. Maintenant on n'avait plus de protection et on était dans le collimateur de Valence.

Bref, je me suis couché tard. Je m’étais endormi alors que j’étais encore sur les nerfs et m’étais réveillée au milieu de la nuit la vessie pleine en pestant sur cet alcool qui m’obligeait à sortir de ma couchette. En titubant vers mes quartiers, j’ai entendu quelques pas dans la semi obscurité du système d’éclairage baissé pour la nuit et l’idée que d’autres que moi puissent être soumis aux mêmes désagréments nocturnes me procura une intense satisfaction. Ma chambre était éclairée. Je ne l’avais pas allumée, j’en étais sur. Je n’allumais jamais la nuit, les veilleuses suffisent pour trouver son chemin et Nanti passe sa vie à nous faire de longs discours sur l’économie d’énergie. Soit le vaisseau se mettait à prendre des initiatives ce qui voudrait dire qu’il lui était poussé une puce IA dans la soirée. Avec les cachotteries de Nanti je n’excluais pas cette possibilité bien que fort peu probable surtout parce que je ne le crois pas capable d’installer une telle bricole sans mon aide, soit quelqu’un était venu dans ma chambre et y était sans doute encore. Plus réaliste. J'ai ressenti comme une sorte d’angoisse primaire injustifiée. Nous étions sur un vaisseau au milieu du vide. Si quelqu’un était dans ma chambre, c’était obligatoirement un membre d’équipage. La lumière s’éteignit ne laissant que la loupiote de veille. « Qui va là ? » ai-je dis en bloquant l’encadrement de la porte. A ma grande surprise une voix m’a répondu mais derrière moi. Et une voix féminine en plus. Ces deux éléments aussi impossible l’un que l’autre auraient dû m’effrayer mais je me contentais de me retourner.

Le souffle coupé, je me suis agrippé à ma cloison mais j’étais chez moi ici, dans mon environnement et personne n’entre sur mon territoire sans mon autorisation surtout quand j’ai bu un coup de trop. Aussi, c’est avec une confiance sans aucun doute disproportionnée que j’ai répondu : « Mélanie, quelle surprise. Veuillez m’excuser si je ne me présente pas à mon avantage mais je n’ai pas l’habitude que quelqu’un s’invite dans mes quartiers en pleine nuit et même si je l’admets, il y manque souvent de jolies filles, vous n’êtes pas la bienvenue, j’aime les femmes plus... gentille dirions-nous. »

Je me suis surpris moi-même de mes propos. Je venais d’envoyer bouler la plus puissante sorcière du clan de Valence. Si c’est pas un truc à avoir des problèmes ça. Je ne boirai plus jamais de ma vie. Bon d’accord, il ne faisait aucun doute qu’elle venait fouiller mais même prise en flagrants délits, on ne parlait pas ainsi aux genres de femme qui se ballade dans les autres réalité pour traverser le vide stellaire.

De près, dans la lumière blafarde des lampes de veille, elle était superbe. J’avais menti sur un point, c’est que, gentille ou pas, j’aimerais avoir plus souvent des jolies filles comme elle dans ma cabine. Quand je dis plus souvent, je devrais dire, au moins une fois dans ma vie. Elle n’avait rien à voir avec ses femmes aguichantes des stations dans des tenues de latex, des maquillages agressifs et des coiffures compliquées. Mélanie ne semblait porter aucun maquillage. Juste une longue robe blanche d’une matière ultra légère attachée à la limite d’une épaule par une épaisse attache métallique. De larges manches qui pourtant lui gardaient les bras couverts même quand elle en leva un pour remettre en place une mèche de cheveux ébène de sa longue chevelure laissée libre de toute entrave.

« Nous ne sommes pas au milieu de la nuit » me corrigea-t-elle.

« Chez nous, quand les projecteurs principaux sont éteints, que mon implant temporel m’indique trois heures du matin et que tout le monde dort, on appelle ça la nuit.

- Il a été instauré un système de mesure du temps commun et il est 18h. »

Mais elle jouait sur les mots en plus. C’était encore une des lois stupides de Valence. L’idée de base n’était pas franchement mauvaise, c’est vrai que parfois, surtout pour les nomades comme nous, les décalages sont compliqués. Chaque station fonctionne sur des heures différentes et même la longueur des nuits et des journées varient si bien qu’on ne sait jamais quand joindre nos fournisseurs. J’ai toujours du mal quand nous arrivons le soir pour livrer des marchandises dans une station ou c’est le matin. Ca fait des journées interminables. En plus, je soupçonne Nanti d’abuser de ce système pour nous faire travailler plus. Jamais nous n’arrivons le matin sur une station où c’est le soir afin d’être en pleine forme et prêt à profiter des loisirs des stations. Bref, Valence a imposé un système commun et basé sur quoi, je vous le donne en mille, sur eux bien sur. Il ont été jusqu’à imposer leur système de comptage du temps. Dans le centre, ça marche pas mal mais en périphérie, rare sont ceux qui obéissent à cette loi. En ce qui nous concerne, nous n’avons rien changé et le potentiellement innocente n’obéit qu’a une loi : celle de Nanti. Je me demandai si Mélanie avait parlé de ça juste dans le but de me faire oublier que je l’avais presque surprise à fouiller dans ma cabine. Pas très réglementaire tout ça. Elle voulait pointer du doigt nos torts. Et sur un truc aussi mesquin. C’était bas.

« Je pense que vous devriez rentrer dans votre joli vaisseau, vous n’apprécierez pas le monde réel et puis vous allez libérer Martel parce que je ne doute pas que vous soyez pour quelque chose dans cet enlèvement. Le fait que vous ayez si facilement trouvé notre vaisseau en est la preuve. J’imagine mal que vous soyez capable de vous téléporter au hasard sans connaître votre cible. » Ca c’est le résumé de ce que j’aurais aimé lui dire mais que je n’ai pas osé « Alors vous allez dire à vos maîtres qu’ils ne nous font pas peur. » Et ça, je le lui ai dit pour de vrai mais pas en ces termes. Je lui ai attrapé brusquement le bras pour la diriger vers la sortie et aussi pour me retenir car le vaisseau tanguait un peu tout en sachant qu’elle n’allait pas tranquillement sortir par le sas sous peine de se trouver dans le vide mais la lâchais brusquement. A la place de sentir le tissu de sa robe, c’est un bras nu que je touchai. Surpris je l'ai regardé de haut en bas et mon regard s’est arrêté plus intensément sur la plaque dorée sur son épaule. Se pourrait-il que sa robe n’existe pas ? Qu’il s’agisse juste d’un hologramme élaboré ? Le tissu se mouvait suivant ses mouvements mais pas si naturellement que ça en y regardant de près. Elle profita de mon moment d’incrédulité pour se défendre et retirer son bras. « Ce n’est pas vous que je suis venue voir, c’est votre commandant et je vous prierai d’adopter un autre comportement avec moi si vous ne voulez pas tâter la température extérieure. »

Sans doute alerté par ce remue ménage, Tymothe débarqua les cheveux en désordre dans un tee shirt et un caleçon aussi usé que le mien. Déjà, depuis l’arrivée de Maelie, il avait oublié la sale habitude qu’il avait de se balader à poil et presque immédiatement après lui, Nanti, impeccablement habillé, les cheveux tirés en arrière à croire qu’il était surpris alors qu’il s’apprêtait à sortir dans une réception de la haute.

« Commandant Siarro » a dit Mélanie m’ignorant totalement.

Nanti a répondu que sur le potentiellement innocente, on avait l’habitude de l’appeler Maître Nanti mais qu’il s’agissait bien de lui. Elle tiqua sur ce terme mais il précisa rapidement qu’il s’agissait d’un titre tel que maître de maison et que sa maison était le potentiellement innocente. Ses hommes étaient tous des hommes libres. Il réprouvait l’esclavage et refusait de se faire appeler commandant car le vaisseau était une habitation, non une caserne militaire.

Thymothe s'est déplacé vers moi sans lâcher Mélanie des yeux. C’était plutôt agréable de se retrouver avec quelqu’un qui en comprenait encore moins que moi. « Je te l’avais dit qu’il s’appelait Siarro, tu ne me croyais pas.

- Rien à foutre du nom du patron. C’est vraiment Mélanie ?

« Oui » ai-je murmuré tandis que Nanti faisant preuve d’une révérence dont il n’avait jamais usé devant nous invitait Mélanie vers un lieu de discussion plus agréable.

Ce n’était pas le moment mais il fallait absolument que je fasse part à quelqu’un de ma découverte, ça me hantait trop. « Mélanie » ai-je dit encore plus bas à Thymothe sans me tourner vers lui, « je crois qu’elle n’a rien sous sa robe. Enfin, je veux dire, je crois qu’elle n’a pas de robe. Ce n’est qu’un hologramme ». Thymothe a toussé et s’est étranglé tu en es sûr ? A-t-il dit la voix chevrotante.

« Je crois. Je n’ai touché que son bras, faudrait voir un autre endroit. » Thymothe a fait quelques efforts pour garder une respiration normale imaginant sans doute d'autres endroits à toucher. « C’est une bombe » m'a-t-il soufflé encore tandis que nous suivions Nanti et Mélanie.

J’ai approuvé. « Et dans tous les sens du terme ». Nanti s'est tourné vers nous et nous a lancé son regard le plus sévère. Il ne pouvait pas entendre ce qu’on disait, j’en étais sur. Du moins je n'avais jamais entendu dire qu'il portant un ampli audio mais au cas où, je la fermais et me forçais à détacher mon regard de Mélanie. Sa robe ondulait autour d’elle et quand Nanti eut rallumé les projecteurs, je crois avoir perçu de subtiles couleurs changeantes très claires sur le fond blanc comme électriques. Il ne fallait surtout pas que je pense que si je tendais la main sans faire exprès, je pourrais me trouver directement au contact de ses fesses.

« Tu crois que c’est l’agrafe ? » a dit Thymothe à voix basse.

« Quoi ?

- Tu crois qu’en manipulant les pierres de l’agrafe sur son épaule ça ferait disparaître sa robe ? »

Au moins, je n’étais pas le seul obsédé.

« Thymothe, Mérino, Dehors » a lancé Nanti une fois qu’il eut galamment fait entrer son invitée dans la pièce principale. Ca, il savait s’y prendre. Il la flattait comme une princesse alors que c’était une esclave et nous traitait comme des esclaves alors qu’on était des hommes libres. Ca m’énerve ça.

« Votre second était le tuteur de Martel si j’ai bien compris » lança Mélanie de l’intérieur.

Après un moment d’hésitation et un regard furieux qui disait : n’imagine pas un instant que tu auras ce privilège un jour, il a dit à Mélanie que c’était en effet le cas.

« Je crois qu’il serait bon dans ce cas qu’il assiste à notre entretien ».

Je n'ai pu m’empêcher de sourire. J’aimais voir Nanti pris au piège de son propre jeu. C’était lui qui m’avait présenté comme son second sur l’Impérium mais il ne faisait aucun doute qu’il voulait m’exclure de son plan. Il m'a fait signe d’entrer à contre cœur, a jeté Thymothe dehors et je suis entré fièrement dans la salle commune. Habituellement dans un agréable désordre, elle était cette nuit parfaitement rangée et récurée dans ses moindres recoins. Le ménage avait été la consigne numéro un de ces deux derniers jours. Aussi je crus volontiers le patron quand il dit à Mélanie en lui proposant le fauteuil sur lequel je comptais m’asseoir : « je vous attendais mademoiselle. »

Ils restèrent un moment en silence à se jauger puis Nanti s’excusa de ne rien lui offrir ne possédant rien de digne d’elle. J'ai refoulé une grimace. C’était une esclave chargée des basses besognes les plus viles de Valence, pas une honnête pucelle issue d'une famille respectable.

« Et nous n’avons rien pour ceux qui enlèvent les membres de notre équipage » ai-je ajouté avant de recevoir une claque derrière la nuque de la part de Nanti.

« Je ne suis pour rien dans l’enlèvement de Martel » a-t-elle lancé d’une façon faussement indignée. A vomir.

« Bien sur, vous êtes spécialisée dans toutes les basses besognes de vos Maîtres et vous voulez me faire croire que les ordonnances de Valence se seraient bougés le cul pour enlever eux-mêmes un gamin.

- Mérino » s’est exclamé Nanti indigné. Il avait peur que je la choque ou quoi ? C’était pas l’ordonnance Matiz que je sache, c’était qu’une boniche.

Elle s'est relevé furieuse. « Matiz n’est pour rien dans cette histoire et Malhari ne connaît même pas l’existence de Martel. »

Parce qu’elle appelait les 2 ordonnances directement par leur petits noms pas très respectueux ça. Faudrait peut-être leur dire de reprendre leurs esclaves en main.

« Mérino tu sors » a lancé Nanti.

« Non, il reste ici » a dit Mélanie en se rasseyant. « Je crois bon de me justifier aussi devant lui.

Je le répète, les ordonnances Matiz et Malhari ne sont pour rien dans l’enlèvement de Martel. Ils ne savent pas non plus que je suis ici.

- Je m’en doutais oui.

- Moi-même je le croyais mort dans l’explosion de la navette. Je suis arrivée trop tard. C’est seulement ensuite que Matiz a appris que j’avais enregistré une autorisation planétaire pour le potentiellement innocente. Il m’a demandé des comptes. Je lui ai parlé de Martel à ce moment là. Je n’avais plus aucune raison de le cacher et j’avais besoin de me confier à quelqu’un. »

Quoique j’ai à confier, ce n’est sûrement pas aux ordonnances de valence que je parlerais mais évidement les perfides s’entendent bien entre eux comme dit le dicton.

« Donc vous, vous connaissiez son existence ». Nanti m’avait précédé. Je comptais dire la même chose mais bien moins gentiment.

« Oui » dit-elle. « Je savais qu’il n’était pas mort durant la guerre. C’est même moi qui suis à l’origine de ce subterfuge pour le sortir de la belle d’été pendant la guerre en vous faisant embaucher pour le récupérer.

- C’est sans doute vous aussi qui avait détruit la station sur laquelle on devait le déposer dit Nanti.

- En effet. Cette station était une base d’indépendantiste. Elle aurait été détruite de toute façon mais ainsi, même si quelqu’un avait appris que Martel avait survécu à l’explosion qui a détruit le palais, il aurait perdu sa piste et l’aurait cru mort dans l’explosion de cette station. Et tout a marché comme prévu. Je savais que vous ne le laisseriez pas tomber. J’ai lu votre dossier.

« Quel dossier ? « ai-je demandé conscient qu’on me cachait encore quelque chose.

« La ferme Mérino. » réponse du patron

- Et Martel le savait ?

- Plus ou moins, je lui avais juste dit de ne rien dire. Il avait huit ans, rêvait de grands vaisseaux. Ce n’était pas difficile de lui dire que il voyagerait dans les étoiles et que je viendrais le chercher plus tard.

- Et c’est pour cela que vous vous imaginiez en droit de l’enlever ainsi, de revenir après dix ans comme si de rien n’était et le récupérer sans lui demander son avis.

- Pour la dernière fois, je ne l’ai pas enlevé. Je suis venue plusieurs fois mais je ne me suis pas fait voir. Il était heureux ici, il avait quelque chose que je ne pourrais jamais lui offrir. Il avait la liberté.

- Et je serais heureux de vous l’offrir à vous aussi » a dit Nanti en s’inclinant d’un ton révérencieux à outrance.

« Je ne m’estime plus prisonnière depuis longtemps et si j’avais perçu le moindre malheur chez Martel, je l’aurais ramené mais il était heureux. Il avait sa vie ici et moi la mienne. Je connais votre point de vue sur Valence et je ne suis pas là pour vous faire la morale mais ce que nous faisons, nous le faisons pour le peuple.

- Alors qu’est ce que Martel pouvait avoir avec de simples nomades que Valence ne pouvait lui offrir ?

- Le choix peut-être.

- Oui » répondit Nanti se tournant vers l’espace. « Valence n’a jamais accepté de le donner à qui que se soit le moindre choix.

Quand vous aurez compris cela, alors seulement vous agirez réellement pour le bien du peuple. »

Mélanie a croisé les bras. « Si nous le laissons libre, il se détruira, comme ils s’apprêtaient à détruire les seules sources de leurs survies en saccageant les planètes. Sans les matières premières issues des trois planètes de types A, l’humanité entière court à sa perte.

- Nous ne sommes pas la pour confronter nos opinions politiques mademoiselle Mélanie de Calice » a dit Nanti m’empêchant de remettre proprement à sa place ce suppo de Valence qui n’avait jamais été confronté au monde réel.

- En effet.

- Je crois qu’il serait tant que vous nous disiez ce que vous savez à propos de l’enlèvement de Martel.

- Vous imaginez bien que c’est aux ordonnances que je devrais parler.

- Mais vous ne l’avez pas fait.

- Non.

- Pourquoi ?

- Je vous l’ai dit. Je voulais offrir à Martel le choix de la vie qu’il désire. J’aimerai qu’il vienne à l’Impérium à mes cotés mais je ne pense pas que ce serait son choix et je sais que ni Matiz ni Malhara ne prendraient ses désirs en compte et encore moins l’empereur Pantin. J’ai déjà obtenu que Matiz garde pour lui l’existence de Martel. Je ne peux guère faire plus. Matiz mettra tout son pouvoir en œuvre pour le retrouver d’autant plus qu’il imagine qu’il existe un autre sorcier de Calice qui l’aurait enlevé. Ca lui en ferait deux de plus.

- Et ce n’est pas le cas ?

- Je ne le pense pas.

- Alors qui ? Que je sache, personne d’autres n’a le pouvoir de survivre dans d’autres réalités ?

- Je le croyais aussi mais je n’en suis plus aussi sûre. J’ai pris quelques renseignements, discrètement et j’ai découvert une commande qui a été effectuée sur la belle d’été pour la fabrication d’implants psychiques de grande envergure.

- Suffisamment puissants pour permettre de se déplacer dans d’autres réalités ?

- Oui.

- Et cette commande était à quel nom ?

- A celui de Valence, bien entendu, personne d’autres n’a ne fut ce que le droit de faire une telle commande.

- Mais vous avez bien une idée du destinataire ?

- Des destinataires plutôt car il y en avait deux.

Non, je n’en ai aucune idée. J’ai parlé de cette anomalie aux ordonnances et à l’empereur et ils ont été catégoriques, aucun n’a effectué une telle commande.

- Pourtant, je suppose qu’il y a des protections, on ne peut pas se faire si facilement passer pour Valence !

- Non, pour cela, il faudrait pirater l’IA de l’Impérium ce qui est inconcevable. Pourtant, j’ai vérifié, toutes les autorisations étaient en règle. La commande a bien été envoyée sur l’Impérium quand le vaisseau s’est posé sur la belle d’été pour la maintenance en atmosphère puis toute trace d’elle disparaît. Les ordonnances ont mis ça sur le compte d'un bug informatique et conclu que ces implants n'avaient jamais existé.

« Je suppose que quelqu’un avec un tel implant n’est pas discret » fis-je remarquer. L’Impérium était bourré de gardes vérifiant chaque implant.

« Au contraire, sa puissance dissimulatrice est bien suffisante pour berner n’importe quel sondeur.

- Et qu’en déduisez-vous ? » Demanda Nanti

« Après votre entretien, Les ordonnances ont émis l’hypothèse que quelques sorciers de Calice auraient réussi l’exploit de détourner l’IA d’une manière qu’ils n’expliquent pas et de récupérer la commande et qu’ensuite, ils auraient libéré Martel.

- Vous ne semblez pas partager ce point de vue.

- Ca me parait compliqué.

- Parce qu’il y a plus simple ?

- Peut-être.

- Vous n’êtes pas venue jusqu’ici pour faire des mystères. Vous pensez à la princesse Saline n’est ce pas ? »

Mélanie hocha la tête en signe d’assentiment.

La princesse ! J’avais déjà entendu parler de ce rejeton tardif. Ce n’était qu’une petite fille et illégitime en plus. J’en fis la remarque.

« Oui » admit Mélanie

« Et ce n’est pas une sorcière.

- C’est ce qu’on dit

- Et ce n’est pas le cas ?

- C’est la fille de Pantin et par conséquent elle aurait les moyens de passer une telle commande et de la réceptionner que se soit pour elle ou quelqu'un d'autre.

- Mais si elle avait de tels pouvoirs, vous le sauriez ?

- Pas sur, elle pourrait être une très bonne dissimulatrice.

- A douze ans ?

- Peu probable mais les sorciers de Calice qui réussissent un tel exploit ce n’est guère plus réaliste.

- Imaginons, mais dans tous les cas ? Pouvez-vous m’aider ? »

Elle se renfrogna. « Je sais que vous avez travaillé pour Valence comme profiler, nos systèmes de sécurité n’ont guère évolué depuis. Matiz se méfie de vous mais je sais que Pantin vous a donné une certaine immunité qui vous doit d'être toujours en vie même si vous activités ne sont pas toujours, disons honnête. Il ne pourra rien contre vous. Quant à moi, j’éviterai de vous mettre des bâtons dans les roues.

- Je traduis par ; je préfèrerais ne pas risquer de me discréditer aux yeux de mes maîtres. Ce qui est normal pour une esclave.

- Il ne s’agit pas de statut. J’ai grandi avec les ordonnances et Matiz m’a promis de garder le secret vis-à-vis de Martel ». Elle hésita « comprenons nous bien, je pense qu’une collaboration temporaire serait utile autant pour vous que pour moi mais, nous ne sommes pas dans le même camp. Et en ce qui concerne Martel, je suis prête à beaucoup plus que vous n’imaginez pour l’aider mais si je peux le savoir hors de danger en m’impliquant le moins possible.

- Ce serait mieux » finit Nanti. « Je pense que j’aurais cependant besoin d’une alliée sur place ». Nanti sortit de sa poche un communicateur qu’il avait sans doute préalablement préparé. Vous allez garder ça. C’est une fréquence brouillée et si comme vous le dites les systèmes de sécurité ont peu changé, il devrait passer inaperçu et nous pourrons vous contacter.

Elle secoua la tête. « Je ne peux l’emmener.

- Et pourquoi pas ?

- Croyez moi, ce n’est pas de la mauvaise volonté mais il devait être pour le moins greffer sur moi pour que je puisse le transporter.

- Vous voulez dire que vous ne pouvez pas vous téléporter avec un objet ?

- Non, ou du moins il en ressort rarement le même.

- Pourtant quelqu’un a bien déplacé Martel ?

- Martel a ce pouvoir en lui. Seul un bon sorcier pourrait supporter le choc. Et encore, je ne puis qu'espérer qu'il ait survécu.

- Mmmh » fit Nanti. « Je pourrais tenter d’introduire quelqu’un sur l’Impérium.

- Vous voulez parler de la sorcière qu'on vous a soi disant confisqué ?

- Rien ne vous échappe.

- Je peux m'arranger pour faciliter ses déplacements.

- Et pour prendre contact avec vous ?

- Je l’ignore. Je suis rarement seule hors de mes appartements qui sont trop surveillés pour que quiconque s’en approche mais je vais y réfléchir et je reviendrais. »

Elle disparut et Nanti se mit à taper des doigts sur la table. C’était chez lui une habitude accompagnant une profonde réflexion et il faut toujours attendre que Nanti finisse de réfléchir avant de lui parler. Je le sais mais, je ne suis pas d’un naturel patient. « Vous étiez profiler de Valence » m’écriai-je.

« Mérino, tu ne peux même pas être sûr qu’elle soit partie.

- Rien à foutre. Pourquoi ne l’avez-vous pas dit ?

- C’était il y a longtemps.

- Profiler, ce sont ces types qui sont formés pour détecter et vaincre les sorciers c’est ça ?

- Oui, il s’agit en grande partie de se servir de ses cinq sens de façon optimum afin de déceler le maximum d’indices et en effet, ce peut être utile pour détecter certains passages créer par les sorciers pour ouvrir sur les autres réalités, mais pas uniquement.

- Vous faites confiance à Mélanie ?

- Moi ? Bien sur que non. Cette fille est un instrument à la solde de Valence. Elle défend un autre idéal, c’est certain.

- Un autre idéal ! Ce monstre est impliqué dans des crimes abominables, elle a avoué sans le moindre remord être à l’origine de la destruction d’une station et on ne me fera pas croire qu’il n’y avait que des indépendantistes dessus et des coups dans le style, elle en a fait plein.

- A ton avis, pourquoi veut-elle qu’on récupère Martel si elle est si dévouée ?

- Je l’ignore, sans doute pour le tuer avant qu’il lui face de l’ombre.

- Dans ce cas, elle l’aurait tué depuis longtemps.

- Pour la seconder alors

- Alors elle le voudrait avec elle mais ce n’est pas le cas. » Nanti se prenait trop la tête.

« Et comment saviez-vous qu'elle viendrait »

Nanti se prit la tête dans ses mains. Parce que je l'avais déjà vu sur le potentiellement innocente se disputant avec Martel. »

Je restais bouche bée, « vous saviez qu'elle venait et qu'en plus elle était en contact avec un des nôtres et vous n'aviez rien dit !

- Si elle avait été un danger, je l'aurais su. Mais elle semblait tenir à Martel.

- Elle n’y tient pas très fort, elle ne semble pas prête à bouger le petit doigt. On ne me fera pas croire qu’elle a si peur de ses maîtres.

- A la façon dont elle en parle je suis prêt à parier que ce n’est pas la peur qui la retient. Elle a dit qu’ils avaient été élevés ensemble, elle les aime bien. Et quand je dis ça, je ne pense pas à des relations fraternelles.

- Vous croyez qu’elle couche avec une des ordonnances ?

- Au moins avec Matiz et je ne serais pas étonné qu’il la partage avec Malhary.

- C’est dégoûtant.

- Oui mais quand il s’agit de Valence et Calice, c’est toléré. Ceux de Valence ont violé ainsi nombre de fille de Calice pour s’assurer une descendance puissante mais je ne pense pas qu’il s’agisse de viol dans son cas. Elle est consentante et nous l’a bien fait savoir en précisant que nous n’étions pas dans le même camp.

- Alors que cette catin qui n’a jamais fait preuve de la moindre compassion vienne nous faire croire qu’elle se préoccupe du sort d’un adolescent, je trouve ça étrange. Je suis sur que c’est du bluff, elle veut qu’on le retrouve pour ensuite mettre la main dessus.

- Oui. Sans doute, pourtant, elle avait l’air vraiment sincère. Là ou elle s’est trahie, c’est quand elle a refusé d’emporter le communicateur prétextant qu’elle ne pouvait rien emporter par téléportation.

- Pourquoi ?

- Elle peut emmener des objets, ne fut ce que les vêtements qu’elle porte.

- Heu, là patron, je n’en suis pas sûr. J’ai comme qui dirait touché sa manche par inadvertance et ce n’est que du vent. Enfin, je veux dire que je crois que sa robe n’est qu’une illusion holographique. Elle a une plaquette sur l’épaule et vu comment elle tient, je ne serais pas étonné qu’elle soit greffée et sans doute est ce la source du champ de force qui produit ses vêtements. C’est ce que je disais à Thymothe, je suis presque sûr qu’elle n’avait pas de robe et après tout peut-être pas de sous vêtement non plus. » J’avais tenté de dire ça d’un ton neutre et professionnel mais j'ai bafouillé et sentis le rouge me monter aux joues.

Nanti s'est mis à rire. « Qui aurait cru que tes instincts primaires qui t’ôtent toute intelligence devant une jolie fille puissent m’être utile un jour. Allez, ne fais pas cette tête là qu’est ce que ça change pour toi qu’elle ait une robe ou pas si tu ne peux voir son corps et encore moins le toucher. Par contre, pour moi, ça veut dire beaucoup.

- Ca veut dire quoi ?

- Ca veut dire qu’elle a dit la vérité.

Voila un peu près comment s’est déroulé cet étrange entretien. Après le départ de Mélanie, Echo qui était de garde nous avait rejoint Thymothe et moi dans la grande salle. J’avais renoncé à ouvrir une nouvelle bouteille d’alcool, j’avais encore celle de la veille sur l’estomac. J’avais fait chauffé de l’eau. Tant pis pour les protestation de Nanti sur la réserve d’eau qui devait tenir jusqu'à la station F23 car il était hors de question qu’il en achète sur G564 où ils extorquaient une surtaxe inqualifiable sur l’eau potable pour les nomades.

Bref, tout en sortant un choix de diverses poudres lyophilisées pour agrémenter l’eau, j'ai raconté en détail l’entretien avec Mélanie. J'ai perçu une certaine fierté d’être à ce point le centre d’attention et de voir Echo suspendu à mon discours. J’en aurais bien rajouté mes informations étaient déjà si palpitantes que je n’en avais nul besoin. A la fin du compte rendu, je fus harcelé de questions auxquels j'ai répondu de bonnes grâces avant d’imposer une pause afin de profiter de ma boisson déjà tiède.

« Et Nanti savait que Mélanie était en contact avec Martel et n'a rien dit » a dit Echo. Moi aussi j'avais été choqué d'apprendre ce fait.

Thymothe hocha la tête avant de se décider à sortir à son tour ce qu’il avait sur le cœur. « Si sa robe n’est qu’une illusion, ne pourrait-on imaginer que ses seins le sont aussi.

- Pardon ? » a dit Echo

« Oui, réfléchis, l’hologramme pourrait tout à fait faire croire qu’elle est canon alors qu’en fait, son corps entier n’est peut-être qu’illusion. Peut-être que sous l’illusion, elle n’a pas de seins et qu’elle est grosse.

Mon esprit technique prit le dessus : « Pour les seins c’est possible mais si elle était grosse, son corps dépasserait de l’hologramme qui l’entoure.

C’est la seule chose que tu as retenu ! » Echo n'avait jamais eu les mêmes priorités que nous. C’est vrai que de nous tous, c’était le plus rangé. Je ne compte pas Nanti à coté de qui un ermite ascète pourrait paraître débauché, mais Echo n’est pas un nomade dans le sang. Il a une femme même si elle n’a jamais voulu le suivre préférant son petit boulot de sédentaire et même une gamine qu’il voit une fois l’an tout au plus.

Pour autant, c’était un homme et il devait comprendre la portée de la chose. Au cas ou, je répétai : « elle était toute nue !

- Non, moi, ce n’est pas ça qui me fait flipper » reprit Thymothe « mais il y a des règles à suivre. Les méchants sont moches, les gentils sont beaux. C’est ainsi qu’on si retrouve. On ne peut pas trouver une ordure attirante et j’ai beau savoir que comme ordure, elle est hyper excitante.

- Maître Nanti pense qu’elle a une relation avec l’ordonnance Matiz. »

Thymothe rejeta sa tête en arrière : « ça m’excite encore plus.

- Et tu dis que Nanti aurait travaillé pour Valence ?» a lancé Echo tentant de remonter le niveau.

« Oui et haut placé en plus. Il aurait fait partie de ces profilers sensés pouvoir tenir tête aux sorciers.

- Ca expliquerait pourquoi on ne peut jamais rien lui cacher » maugréa Thymothe. « Ces gars sont entraînés à outrance pour mobiliser leurs cinq sens au maximum. Aucun indice ne leur échappe.

- Mais le coup de la robe hologramme, c’est moi qui l’ai repéré ». Je n’avais pas pu m’empêcher de remettre ça sur le tapis.

Echo me coupa « Et à ton avis, Mélanie va nous aider à trouver Martel ? »

Thymothe se mit à rire « Si elle nous aide, ce sera sans doute pour mieux le tuer ensuite. Il parait qu’elle excelle dans l’art de la torture. Un Sylphide a plus de sentiment qu’elle. »

Echo reprit sans se préoccuper de Thymothe « Et pourquoi elle s'intéresserait à Martel ?

- Je ne sais pas mais apparemment ils se connaissaient. Je ne comprends pas qu'il n'en ait pas parlé. On discutait de tout avec le gamin.

- Ne sois pas naïf, il nous a toujours caché son identité et sans doute bien d’autres choses. »

Thymothe surenchérit « peut-être qu’il espionnait pour le compte de Valence. Après tout si Nanti est profiler ils devaient vouloir le garder à l’œil. Sans doute Mélanie venait-elle pour récupérer ses rapports sur nous. »

J’en revenais pas de l’entendre parler ainsi de notre Martel. » Ca va pas la tête ? C’est de notre Martel qu’on parle. »

Echo me déçut lui aussi. « Non, on parle d’un Sorcier de Calice et peut-être de mèche à un assassin de la pires espèce sous les ordres de Valence.

- Et la magie, c’est mauvais » surenchérit Thymothe tandis que Echo acquiesçait.

« Mais Martel n’est pas un sorcier.

- Peut-être mais il pourrait l’être, c’est déjà trop.

- Hou, hou, retour à la réalité, on vit grâce à la magie.

- Les arnaques de Marvin, c’est pas comparable.

- Et Maelie ! C’est pas un petit modèle niveau sorcellerie, pourtant elle fait partie de l’équipe et on l’aime bien ».

Les deux compères se regardèrent. Qu’est ce qu’ils allaient encore me sortir ? C’est Thymothe qui mit les pieds dans le plat. « Justement, en voila un bon exemple, tu ne vas pas me dire que Maelie est un modèle de douceur et de bonté. Elle a failli m’étriper plus d’une fois et depuis qu’elle est là, quand les projecteurs principaux sont éteints, je vois roder des ombres. »

Mais c’est pas vrai, je cherchais un soutien auprès d’Echo. « Tu ne vas pas me dire que tu cautionnes ces foutaises de paranoïaques !

- Qu’est ce que tu veux que je dise ? Que Maelie est une gentille poupée ? Elle est dangereuse et imprévisible comme tous les Sorciers ».

Lui, il se tapait encore sa petite rancune sur le jour où elle l’avait enfermé dans une sorte de grillage d’ombres enflammés. Ils se disputaient à propos de broutilles et elle avait pris la mouche. C’est vrai qu’elle pouvait être légèrement susceptible mais pas de quoi en faire un plat.

« Moi, je ne bosse pas avec Mélanie » lança Thymothe. « Jamais » insista-t-il.

« Tu laisserais Martel ?

- Soit il est mort, soit il est passé à l’ennemi. On ne peut plus rien faire pour lui et je ne risquerais pas ma vie pour un sorcier potentiel.

- Passé à l’ennemi ! C’est quoi cette idée ?

- Après tout, qui nous dit que ce n’est pas une mise en scène. Se faire passer pour mort pour retrouver tranquillement ses petits copains de Valence ? »

Mais on tombait dans le délire ici « Echo, tu ne vas pas me dire que tu cautionnes de telles inepties ? »

Il eut au moins la décence de paraître gêné. « Il doit pouvoir se débrouiller.

Je suis parti, sans même répliquer quoi que se soit. La trahison a un goût amer dit-on. Je n’ai rien senti comme goût mais je l’avais en travers.

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