mardi 26 février 2008

Chapitre 38

38

29/12/3023 Datation légale de Valence.

9H/ 24 : horaire du vaisseau potentiellement innocente


J'ai passé les derniers jours à tenter de convaincre les autres que Martel n'était pas un tourne casaque et qu'il ne fricoterait jamais avec une ordonnance de Valence quelque soit ses plans. La princesse est peut-être mignonne mais Martel ne se laisse pas tourner la tête si facilement. Ces abrutis ne pouvaient tout de même pas donner plus de fois aux mensonges d'une esclave de Valence qu'à leur intrépide coéquipier qui jamais ne leur avait fait faux bon et dont, au contraire, les précieux conseils leur ont souvent valu de se tirer de mauvais pas. Je parle de moi bien entendu.

Ils ont admis qu'il fallait sauver Martel mais j'ai bien senti que ce qui les appâtait le plus était la perspective d'une accréditation planète. Pauvres simples d'esprits. Si jamais on voyait la couleur de cette accréditation, Mélanie nous la reprendrait dès qu'on aurait fini de jouer à ses chiens de manchons parce qu'elle nous manipulait comme des bleus. Enfin, elle manipulait les autres, moi je n'étais pas dupe. On risquait de finir dans une magnifique explosion, quoique plus petite que celle du vaisseau frontalier, sur un simple claquement de ses jolis doigts.

En tout cas, on n'a pas pris la trajectoire de la belle d'été, on a suivi un trajet inscrit par ce fourbe de Muro que le vaisseau n'a pas voulu nous communiquer comme à son habitude. Bien sur je n'ai pas confiance en Muro. Quand j'ai fait remarqué à Nanti que la dernière fois que Muro a pris les commandes de la trajectoire on s'est retrouvé dans la gueule d'un vaisseau frontalier, Nanti m'a répondu qu'il avait la situation en main et que je ferai mieux de m'occuper du système de ventilation et vite. Nanti arrive, je vais faire une démonstration en directe : « Patron, pour sauver Martel, ne devrions-nous pas plutôt nous diriger vers la Belle d’Eté

- On n'a pas les accréditations et je ne me fie pas à une sorcière de Valence ».

Réflexion très pertinente. « Parce que vous avez une idée pour nous procurer ces accréditations avec un autre moyen ?

- Tu ne penses qu'à ça. Malheureusement, je crains qu'on soit dépendant de Valence pour entrer sur la Belle d'été par contre, si jamais on les obtient, nous ne pouvons nous permettre de débarquer innocemment juste Thymothe, écho, toi et moi sans avoir préparé le moindre plan si ça dégénère.

« Mais Martel s'est échappé. On se pose, on le récupère, on repart.

- Qui te dit qu'il s'est échappé ?

- Patron, vous ne pensez pas sincèrement que Martel est un traître.

On l'a vu sur la vidéo de Muro. Il était prisonnier et s'est échappé.

- On l'a vu donné un coup de poing à un gars, c'est tout. Il peut très bien être prisonnier d'un seigneur planétaire sous les ordres de Saline. »

Au moins il ne le croyait pas de mèche avec Saline « Mais Mélanie a dit l'avoir repéré...

- Je croyais que tu n'accordais aucune foi aux dires de Mélanie ? »

Il marquait un point là. « Oui mais elle a dit...

- Si tu crois Mélanie, tu peux aussi croire que Martel monte une conspiration contre Valence avec l'ordonnance Saline ».

Oui, bon d'accord, je n'aurais jamais le dernier mot. Afin de lâcher le morceau sans perdre la face, je tente l'humour : « S'il prépare un coup contre Valence, c'est vrai qu'il nous faut de quoi l'aider.

- Ne soit pas stupide Mérino. La situation est grave. Si jamais les hypothèses de Mélanie sont justifiées, avec l'ordonnance Saline, il serait capable de réussir à mettre Valence à mal. Peut-être pas de les détruire mais les affaiblir suffisamment pour que d'autres en profite. La corporation est épuisée par les conflits qu'elle gère. Les dirigeants sont de moins en moins nombreux et les proches de plus en plus corrompus. Ils ne tiennent encore que par la puissance de ses sorciers. Il ne manquerait plus qu'une étincelle pour que tout s'effondre et Saline est de force à la produire.

- Ce serait fantastique !

- Tu ne réfléchis pas plus que le bout de ton nez. Même si Saline, qui semble encore plus pourrie que ses frères, ne reprenait pas la corporation, as tu pensé à ce qu'il se passerait si Valence disparaissait ?

- Oui évidemment, j'en rêve tous les jours, la liberté !

- Oui, on serait revenu 50 ans en arrière. Tu n'as pas connu cette époque mais moi si. Les indépendantistes se battant pour le pouvoir, chacun pour soi. Les assassins tels qu'on a rencontrés dans la frontière qui reprendraient leurs activités à la périphérie puis au centre n'ayant plus personne pour leur tenir tête. L'anarchie généralisée telle qu'on la rencontre dans les stations déchéance, un conflit généralisé pour le pouvoir jusqu'à ce qu'une autre corporation où un indépendantiste émergent du charnier et prenne la place de Valence ».

Je n'en revenais pas. Le patron qui nous faisait faux bon, le traître. « Vous travaillez encore pour Valence !

- Je travaille pour moi. J'ai quitté le clan de Valence car je n'étais pas d'accord avec leurs méthodes mais je sais que les renverser sans rien mettre à la place serait du suicide pour le système entier et l'empereur connaît ma façon de penser et c'est pourquoi il me garde en vie. Parfois il vaut mieux des pourris connus que des pourris inconnus. »

Sans doute le patron voulait-il parler de la multitude de relations qui lui permettait d'agir en toute impunité mais c'était un raisonnement de faible et je ne me gênais pas pour le lui faire remarquer.

« Nous profitons du système Mérino. » Me répliqua-t-il. Si le système disparaît, nous disparaîtrons avec lui. »

Je claquai la porte et pris une grande décision. Je suivrai Nanti, retrouverai Martel et si jamais ces hypothèses fantasmagoriques se vérifiaient à propos de Martel, je l'aiderais à mettre le feu au poudre pour faire exploser Valence et Saline avec.

C'était peut-être de la trahison envers Nanti mais c'était lui qui nous avait trahi le premier.

Thymothe m'appela innocemment du champ extérieur. Je songeai qu'il ne savais encore rien de la trahison de Nanti. Je le lui dirai ainsi qu'à Echo le moment venu. Muro ne faisait pas partie de l'équipe et je ne lui pardonnais toujours pas de nous avoir mis en danger, qu'il se débrouille. Pour l'instant, je me contentai de repasser l’extrait où Nanti avait dit se souvenir de la prise de pouvoir de Valence 50 ans avant et récoltai les 50 crédits d'Echo mis en jeu lors d'un pari concernant l'age de Nanti et si oui ou non il avait eu recours à des traitement regénérants.

« Il y a un vaisseau » s'exclama Thymothe dans l'interphone.

Je me précipitai vers le champ extérieur pour le rejoindre. En effet oui. Et pas un petit en plus. Et le potentiellement innocente n’aurait pas daigné nous prévenir. A vue de nez, la bête devait approcher les 4 ou 5 kilomètres de longs mais pas facile d'être précis avec si peu de références externes. Bon d’accord, rien d’exceptionnel, surtout vis-à-vis d’engins tels que certaines stations nomades qui peuvent mesurer jusqu’à cinquante kilomètres de diamètre et je ne parle pas des vaisseaux de Valence qui font dans la débauche d’espace. Même les vaisseaux croisières atteignent facilement des longueurs d’une dizaine de kilomètres. Mais à coté de notre petit Potentiellement Innocente et de ses 300M dont à peine 100 sont habitables, un vaisseau de quatre kilomètres, ça fait déjà du beau vaisseau.

« Tu crois qu’il est dangereux » demandais-je à Thymothe ?

« Non, ça m’étonnerait sinon les alertes auraient été déclenchées. Sans doute est-ce les potes de Muro que Nanti voulait voir.

- Il avance presque aussi vite que nous » fis-je remarquer.

« Quelle prouesse » dit Thymothe, « nous sommes quasiment arrêtés.

- Ha ouhai ? » Concentré dans mon défoulement contre Nanti, je n’avais pas remarqué la décélération.

« Qui est-ce ? »

Seul le silence me répondit.

Je n’allais pas tarder à me fâcher sérieusement : « Potentiellement innocente, je t’ai demandé l’identité de ce vaisseau ». Je marquais une pause et rajoutai « s’il te plait ». Je savais bien qu’il n’était pas programmé pour réagir à ce genre de stimuli mais avec Muro ça marchait.

« Unité tactique.2873.IA13.Raisonnance » me répondit le vaisseau. Peut-être que le s'il te plait y était pour quelque chose. Non, j'étais un mécano rationnel, je ne pouvais pas croire de telles foutaises sur la politesse face à une machine.

« Ha » fit Thymothe devant la réponse du vaisseau qui ne lui disait rien du tout. Moi, je m'y connaissais un peu plus « Les IA13 n’ont pas été détruite ? » Il s’agissait d’unités dans les dernières créations en intelligences artificielles et elles s’étaient retrouvées les proies les plus recherchées quand soudain la population avait décidé (soufflé pas Valence) que les IA étaient dangereuses, qu’elles risquaient de se retourner contre leurs créateurs et que, dans le meilleur des cas, elles s’empareraient de la totalité du marché du travail nous laissant tels de pauvres hères sans le sous.

En ce qui me concerne, poussé par ma fainéantise naturelle, je serais plutôt enclin à penser qu’on a raté là une bonne occasion de laisser tout le boulot à des machines tandis qu’on se la coulait douce mais je n’étais pas né à l’époque pour faire passer mon point de vue. A ma naissance, les IA avaient été démantelées pour une bonne part avant qu’un petit futé fasse remarquer qu’on pouvait se contenter de les reformater à la baisse. Dans un cas comme dans l’autre mes rêves d’hédonisme étaient morts.

« A-t-on un contact avec le vaisseau ? »

« Oui technicien Mérino ». Ce n’était pas la voix que j’avais programmée pour le potentiellement innocente ça. Parce que cet engin se permettait de brancher nos hauts parleurs sur la fréquence de n’importe qui maintenant.

« Et a qui ai-je l’honneur ?

- UTIA13 Raisonnance.

- C’est un plaisir

- Moi de même »

Cool un vaisseau qui parle. Enfin qui fait autre chose que répondre aux questions.

« Salut Raisonnance ». Voila que je parlais comme Muro maintenant à personnifier une machine. « Tu peux me passer ton patron ?

- Je ne peux accéder à ta demande Technicien Mérino. » Ha voila une réponse à laquelle j’étais habituée. Leur commandant devait déjà être en rapport avec Nanti et comme j’avais plus de chance de recevoir des infos d’une machine que de Nanti, je décidai de copiner avec la bête.

« C’est bon, tu peux m’appeler Mérino.

- D’accord Mérino,

- C’est toi notre destination mystère ?

- Les codes de votre vaisseau correspondent à mes coordonnées.

- Et sais-tu pourquoi nous sommes là ?

- Muro m’a demandé une autorisation d’approche afin de me rendre un service. Je suis plus enclin à penser que c’est lui qui veut un service de ma part. Selon une probabilité de 78 % dans un ensemble dans lequel on ajoute 9% de chance qu’ils vous fassent venir pour satisfaire ce que la race humaine appelle curiosité, 10% de chance qu’il ait dit la vérité et vienne uniquement pour me rendre service, et 3% de chance que ses intentions soient hostiles. Bien sur il ne s’agit que d’approximations en fonction du fond du discours de Muro associé au vocabulaire choisi, au ton de sa voix, aux résultats de ses précédents contacts le tout corrélé aux différentes études sur le comportement humain. La marge d’erreur est cependant de plus de 10% »

Je me disais aussi que son discours manquait de chiffre. Je retrouvais bien une occupation typique d’IA de bas étage : calculer des probabilités sur n’importe quoi

« Et je suppose que Muro est en train de discuter avec ton patron là. » Je mourrais d’envie qu’il me passe la transmission qui devait se dérouler sans aucun doute en ce moment.

« Muro transmet en effet mais ses transmissions ne sont destinées qu’à moi. Je suis en mode dédoublage pour pouvoir avoir deux sons de cloche comme on dit. »

Hum. Pas trop limité la bête, peu d’ordinateurs géraient le second degré.

« Je suis mon propre maître » ajouta la machine.

Thymothe prit part à la conversation « Rien que ça. Pas sur que les mecs qui soient à ton bord partagent ce point de vue.

- Il n’y a personne à mon bord ».

Voila qui n’était pas banal comme réplique. Je soupçonnais Muro d’être derrière cette remarque histoire de me faire une sale blague.

« Ha oui et qui c’est qui te gratte les puces alors ?

- Si cette expression revient à demander qui m’entretient, il semblerait que ce soit toi Mérino. Muro vient de me transmettre qu’il m’offrait un technicien pour prendre soin de moi. Il ajoute que c’est un râleur invétéré, désagréable au possible et me suggère de couper mes capteurs durant l’entretien.

- Oui, on s’adore tous les deux !

- Il dit aussi que malgré ton mauvais caractère tu fais du bon boulot.

Tu seras le bienvenu à bord Mérino.

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