dimanche 25 novembre 2007

Chapitre 1

02/01/3023 Datation légale de Valence.

16H25 / 24 : horaire vaisseau

Journal de bord du « potentiellement innocente » par Mérino, simple électronicien, exploité pour un salaire de misère dans les confins d’un système décadent qui hésite entre sombrer dans la déchéance ou dans l’anéantissement total de la civilisation.

Trop mélodramatique.

Deuxième version : Journal de bord du « potentiellement innocente » par Mérino : membre d’une équipe d’intrépides nomades parcourant le système dans l’espoir d’aider son prochain en leur offrant des marchandises inutiles et, éventuellement y gagner de quoi subsister encore quelques jours de plus.

C'est mieux là. Ou alors : Mérino second du vaisseau « potentiellement innocente. Restons réaliste, drone, efface la dernière version, non attends je le fais en manuel sinon je vais encore perdre trois jours de données.

Merde c’est encore bloqué. Bon pour la casse ce truc. Pas grave, on reprend :

Celui que vous pourriez voir devant moi si la caméra de ce drone antique marchait encore, c’est notre médecin, Charlie. Dis bonjour à la caméra Charlie. Vu le sourire, ce n’est pas plus mal de n’avoir que le son alors pour la postérité, je me lance dans la description de Charlie : Quarante ans, sexe masculin, aucun signe particulier. Je dois préciser que la description n’a jamais été mon fort. Charlie aurait pu être un brillant praticien s’il n’avait pas été radié de la profession.

« Je n’ai jamais été radié. »

Voila qui parachève ma description. Un échantillon de la voix grave et virile de notre bon médecin, quoique, un peu enrouée ce soir. Tu as encore sifflé une bouteille de la cargaison d’alcool à vendre pour préserver l’eau potable ? Tu veux raconter ta version des faits le doc ? Pour la postérité.

« D’accord. Alors… je m’appelle Charlie, je suis spécialiste en génétique et clonage. »

En particulier pour les vaches n'est ce pas ?

« Hum, pour les vaches aussi oui. J’ai participé au programme de modification génétique des bovidés afin de produire des espèces supportant l’inactivité et pouvant se nourrir exclusivement d’aliments synthétiques afin de favoriser le commerce de protéines naturelles au sein de bases spatiales de tailles réduites. Et j’ai un diplôme de chirurgie esthétique. Je l’ai passé par correspondance. »

Pour d’autres styles de vache !

« Si tu veux. Tu me laisses finir ? »

Mais je t’en prie, dis nous comment un brillant praticien tel que toi a-t-il atterri dans le vaisseau bien nommé « potentiellement innocente » doc ?

« Oui, donc, j’ai commencé ma carrière sur la station SO.B3 à la périphérie de la Belle d’été. Comme toutes ces stations proches d’une planète de type A, la B3 est un de ces lieux huppés où les médecins se ramassent à la pelle. On m’a dit qu’il manquait de brillants praticiens dans la zone sombre comme nous les centraux on nomme les stations à la périphérie du système. Des gars qui en veulent, qui n’ont pas peur de se retrouver isolé parfois à plusieurs semaines de la station voisine. J’ai senti la vocation venir à moi. Je me suis dit : pourquoi ne pas partir là où les hommes auraient vraiment besoin de moi, là ou les conditions sont rudes et les maladies fréquentes mais où je pourrais avoir plus que de l'argent. »

Qu'est ce qu'il y a de mieux qu'un compte bien approvisionné ?

« Hum, heu, la reconnaissance »

Ha oui, bien sur, comment n'y avais-je pas songé. Je croyais que des confrères jaloux t’avaient chassé car tu leur faisais de l’ombre et que de toute façon tu ne t’intéressais qu’à la recherche car tu ne supportais pas les gens malades ?

« Aussi oui. »

Les jaloux plus la vocation, ce n’est pas crédible.

« Choisis la version que tu veux alors. Tu n’as qu’à demander à ton drone laquelle est la plus crédible ».

Mon drone n’a pas de puce d’intelligence artificielle, il dépend de l’IA du potentiellement innocente qui ne sait répliquer autre chose que : « manque données pour répondre à votre requête » alors je vais choisir moi-même. Je prends la première, j’aime ces cotés altruistes et aventuriers que je n’avais encore jamais perçu chez toi. Je parle dans le vide là, Charlie est parti. Donc, je disais que je n’avais jamais perçu le coté altruiste de Charlie car sur une échelle de priorité, il s'intéresse à lui et ensuite lui puis lui et finalement lui. Je ne suis même pas sur qu'il saisisse le concept d'autrui comme autre chose qu'un pourvoyeur de pognon potentiel. Nous, les autres, on ne l’aime pas Charlie, et je ne sais pas pourquoi j’ai attendu qu’il soit parti pour dire ça, de toute façon, il le sait bien et c’est réciproque. Bien sur, enfermé dans 200 mètres carrés à 6, il faut bien faire des efforts de cohabitations. C’est comme sa façon de partir comme ça alors que je suis en train de lui parler, c’est… Tiens, Charlie je ne t’avais pas vu revenir, tu as fais le tour ? Et je fais un Zoom arrière avec fondu enchaîné sur une créature de rêve malheureusement en deux dimensions. La projection murale de mauvaise qualité frémit et laisse imaginer une poitrine se gonflant d’un désir irrépressible pour moi et… disparaît. Ca y est, le projecteur est aussi mort que la caméra. Tout part en ruine ici.

« Tu as raison de dire que les descriptions ne sont pas ton fort, fais ce que tu peux pour changer de sujet et puisque monsieur veut un compte rendu de tous mes déplacements, je t’informe que j’étais parti pisser et que même des chiottes je t’entendais. »

OK, désolé. Reprenons sur notre cher docteur.

« C’est ça, lèche moi les pompes, on y croit »

Donc, Charlie, qui aurait pu faire une grande carrière de médecine, du moins dans ses rêves, est prié de quitter sa station après avoir été suspecté, à juste titre, d’avoir accepté quelques gros sous pour la fabrication de quelques esclaves clones illégaux et, après un long périples aussi mouvementé qu’ennuyeux, se retrouve sur le « Potentiellement Innocente » et devant nous aussi afin de partager l’idéologie de notre cher commandant Nanti : Mener toujours plus loin les limites de la légalité. Ainsi, maintenant, tu conçois des clones légaux. C’est bien cela Doc ?

« Absolument pas. D'abord, on remet les choses en place. Numéro un, je ne fais pas partie de l’équipage de ce rafiot. Je suis indépendant moi. Je paie ma place à bord en faisant quelques petits boulots pour le tyran qui sert de commandant ici mais pour le reste, j’attends juste de trouver un bon plan pour me tirer et faire fortune en solo dans un coin discret et en meilleure compagnie. Deuxièmement, Le clonage est illégal. Moi, je fais de la procréation assistée. »

Ce qui consiste en quoi ?

« Ce qui consiste à sélectionner les gênes que souhaitent les parents pour leur progéniture. Quel mal y a-t-il a souhaité un enfant beau et vigoureux ? »

Qui vous ressemble comme deux gouttes d’eau

« Mais pas tout à fait »

En effet oui avec un ou deux gènes différents pour avoir un double parfait avec juste une petite différence physique, du genre la couleur des yeux différente ou les cheveux lisses au lieu de bouclé et malheureusement, un intellect un peu limité afin d’être plus docile.

« Différence qui fait que l’opération est légale ».

C'est pour en faire des esclaves !

« C'est pour en faire ce qu'on veut. Après tout, si des crétins ont un égo si démesuré qu’ils veulent se reproduire moi, je me dévoue à alléger leur carte de crédit. »

Titiller la moralité de Charlie, c'est un peu comme vouloir éveiller l'appétit d'une chaise.

« Je t’entends encore, même quand tu chuchotes »

Moi, je ne comprends pas ça. Quel intérêt ? Si je voulais un double de moi, je voudrais qu’il soit aussi intelligent que moi

« Vu que t’es pas beaucoup plus futé que mes clones, c’est faisable. »

- Très drôle

- Qu’est-ce qui se passe encore ? »

Mais qui vient d’apparaître à la place du mur ? Notre cher Echo. Je m’arrête un moment et reviens quelques secondes en arrière pour vous décrire les faits. Revoyons l’action au ralenti. D’abords, la projection de l’image murale qui disparaît ne laissant qu’un champ de force opaque mais légèrement grésillant entre la salle commune et les quartiers d’Echo. Ensuite, l’énergie du champ de force lâche à son tour désintégrant la cloison virtuelle troquant l’image de notre belle sirène contre celle de Echo en caleçon, un homme encore jeune et bien fait du moins tant que je le décris en sa présence car il est bien plus costaud que moi. Belles dames qui entendez ce message, n’accourez pas. Echo est un de ces traditionnels romantiques qui s’est lancé dans l’antique mais si belle promesse qu’est le mariage. Sa femme est sédentaire, il ne la voit jamais mais lui reste fidèle. Du moins, la plupart du temps. Un grand romantique. Je me sens en devoir de répondre à sa question : « je tiens un journal de bord. Ainsi, quand nous disparaîtrons corps et bien dans l’espace infini, peut-être quelqu’un retrouvera-t-il cet enregistrement et saura quels preux chevaliers des temps modernes nous étions. »

Echo est notre pilote. Nous avons tous notre brevet de pilote mais Echo est le seul pilote compétent du vaisseau. Et surtout, Echo n’est pas n’importe qui. Monsieur Echo est né sur une planète, une vraie, une de catégorie A. avec des plantes sur lesquelles on marche et des animaux et de la poussière et un air non recyclé et même de la pluie. Beaucoup de pluie si j’ai compris. Évidemment, tout comme 90% de la population, il s’est fait mettre dehors à la fin de la guerre. Sa basse extraction risquait de polluer la planète. Un délit grave. Afin que nos planètes respirent, supprimons les gens. Voila qui aurait pu faire un beau slogan durant la guerre.

« T’as une tête à faire peur Echo.

- Je dormais jusqu’à ce que l’isolation phonique lâche, je te rappelle que j’étais de garde cette nuit. Et toi, qu’est-ce que tu fous bon sang ! Je croyais que tu te servais de cet engin même plus bon pour le recyclage pour recenser les légendes et autres foutaises pseudo historique ?

- Aussi oui. C’est que je suis plein de polyvalence moi. Electronique, énergie, sismographie, historien, chroniqueur.

- sismographie ?!

Je vois qu’Echo en a oublié de remettre en doute mes capacités dans les autres domaines. Comme quoi, rien de tel que de mettre en avant une belle absurdité pour faire passer le reste. En plus sur ce coup là, c’était vrai. J’étais jeune, la guerre stagnait et j’étais persuadé que si j’étudiais la sismographie, je pourrais me trouver une place hors pair de spécialiste sur une planète. Genre super bonne planque bien payée. Un peu naïf le gars. On m’a proposé un poste sur un caillou où la température avoisinait les 400 degrés au plus fort de la saison froide. Niveau activité sismique, il y avait de quoi bosser. D’ailleurs, dans les bons jours on bossait entre 15 et 17 heures d'affilé dans des conditions insupportables avec des combinaisons qui manquaient de nous lâcher à tout moment. Bref, je n’ai pas hésité longtemps quand on m’a proposé une place sur le Potentiellement Innocente. Et j’ai mis de coté mon ambition de travailler sur une vraie planète, du genre de celles avec de l’oxygène.

« Fondu enchaîné sur Thymothe. Thymothe est là depuis le début de mon enregistrement et nous regarder en souriant bêtement. Il refuse qu’on parle de lui. J’ai dit que je respecterais sa volonté d’anonymat. Il dit qu'il n'a pas confiance en mes qualités de conteur mais la vraie raison est qu'il est trop pudique ou timide ou un truc dans le genre car en vrai je suis fort pour raconter des histoires. Bref, je suis obligé de revenir sur ma promesse car l'air dégoûté de Thymothe en parlant de planètes vaut le détour. C’est très vilain le geste que tu fais là Thymothe. Heureusement que l'écran est naze. Tu vas vomir ? C’est parce que j’ai parlé d’air non recyclé ? Thymothe ne peut pas concevoir qu’on puisse vivre dans un endroit où il y a de la terre sur le sol. Même les vaisseaux croisières, ces petits bijoux de technologie qui imitent des environnements planétaires à coup de champs de force et gazons artificiels lui font horreur.

« Il y a des animaux tous petits et on marche dessus. On peut même en respirer ! »

Merci Thymothe pour cette information sensationnelle. Thymothe est allé une fois sur une planète, et pas n’importe quoi, La Belle d’été, je ne vais pas en faire le récit de suite car il s’agissait de la récupération du gamin. Une de nos missions les plus foireuses qui non seulement ne nous a rien rapporté mais en plus, nous nous sommes retrouvés avec un gosse sur le dos. J’en ferais une description épique quand je présenterais le gamin mais pour en revenir à Thymothe : il a attrapé un virus là-bas. Une tragique histoire. Il a marché sur un sol couvert d’herbe et il y avait du vent aussi c’est bien cela ?

Je regrette la caméra, la grimace vaut le détour. Bref, de retour sur le vaisseau, on a découvert qu’il avait un virus, une maladie rare. La maladie n’était pas encore active, il a été immunisé et n’est pas tombé malade mais juste l’idée d’avoir pu inhaler un microbe l’a traumatisé.

« J’ai respiré un être vivant ! »

C’est ça Thymothe. Vous devriez voir Charlie, il se tord de rire.

« Je confirme, tu es mauvais conteur. »

- Ca va Charlie je me suis excusé, pas la peine d’en rajouter. J'ai ma nièce qui peut te certifier le contraire et les gosses ça s'y connait en histoire. Fallait la voir à 6 mois subjuguée par l'épopée de Mérino, les yeux écarquillés et un filet de bave au coin des lèvres.

Ha, demi tour, je braque la caméra sur le nouvel arrivant : Magnifique, voila le jeune seigneur. Digne d’un de ses chefs de méga corpo qui sont capable de mettre le système à feu et à sang pour grappiller quelques miettes de pouvoir dans la traîne des grands seigneurs de la corporation clanique de Valence. Si sa seigneurie veut bien que je l’immortalise. Drone élève toi un peu pour me faire une vue en plongée

« Eteints ça. Je croyais que ta caméra était naze ? »

Quel langage votre grandeur. Sa grandeur, c’est le petit. Enfin, il fut petit mais il y a quelques années, il lui a prit l’idée de manger comme un ogre nous obligeant à faire un détour de ravitaillement supplémentaire juste pour lui. Et puis ses pantalons se sont mis subitement à rétrécir, et un jour, j’ai du lever la tête pour le réprimander. Je me suis demandé quelle magie étrange le possédait mais le doc m’a dit que c’est un truc qu’on chope vers quatorze ans. Une poussée de croissance ça s’appelle. Il parait que c’est assez fréquent, bénin mais qu’on garde des séquelles à vie. Moi, je grandis aussi mais plus lentement j’attends sans doute de passer la quarantaine pour faire ma poussée.

Bref, quand je dis votre grandeur, c’est justifié. Vous le verriez comme il est beau. Un vrai gratte cul de Valence. Et avec le fric qu’il va nous ramener, je pourrais même m’acheter un adaptateur visuel pour le drone.

C’est qu’il devient plus productif que le doc le mome. La dernière mission avait été un beau succès mais quasiment tout le bénéfice avait servi à rembourser les dettes du potentiellement innocente suite à une attaque indépendantiste et payer les fringues du gamin. C’est la classe d’accord mais à ce prix, c’est du foutage de gueule.

Je me lance dans une nouvelle description. Le costume est clair mais avec une bordure plus foncée, genre marron et tout en fibre naturelle. Je ne sais pas lesquelles, je n’y connais rien. Il porte aussi un long manteau, genre inutile du même marron avec des incrustations brillantes, sans doute des aimants ou autres substances magnétiques qu’affectionnent les planétaires qui en quittant leurs terres et les courants magnétiques des planètes, s’imaginent qu’ils vont perturber leur harmonie intérieure ou je ne sais quelles foutaises. Il a une agrafe en pierre aussi.

C’est un vrai Diamant ?

« Non, synthétique mais personne ne devrait y regarder de trop près. »

J’espère. Tu as recousu mon déguisement ?

« Il est foutu ton costume, il n'a pas résisté à ta dernière beuverie. Tiens mets ça. »

C'était pas une beuverie, juste une soirée d'intégration pour faire connaissance. Une sorte de réunion diplomatique. Le gamin vient de m’envoyer des fripes correctes, je l’admets mais mon rang mérite mieux. Je suis tout de même le conseiller de sa seigneurie. Sur ce coup là, je crois qu’on frise l’escroquerie. En fait, je suis sûr qu’on est en plein dedans puisqu’on fait croire aux parvenus de passage que le petit Martel est le fils d’un propriétaire planétaire qui se lance dans le commerce de luxe pour leur refiler nos produits de secondes zones bien au dessus des tarifs en vigueur. Traduit par le patron, ça donne : on laisse rêver des hommes qui pensent tout seul que Martel est le fils de quelqu’un d’important et que par conséquent ses produits sont sûrement très en vogue. On passe de l’escroquerie à l’abus de confiance que j’ai dit au comandant Nanti mais il a répliqué que ce genre d’affaire, déjà dans le centre du système où l’activité est intense, les stations nombreuses et par conséquent la surveillance accrue, c’est tout à fait le genre d’arnaque qui n’intéresserait personne tellement on se perd en procédure mais dans la périphérie, tant qu’on n’a pas fait sauter une station, les seules lois c’est demmerde-toi et tant pis pour ta gueule.

« Nanti a conclu de ta dernière prestation que tu serais plus crédible dans le rôle de serviteur que de conseiller ».

Quoi, c’est une blague, je ne joue pas les esclaves moi !

Drone Amplificateur. C’est que je me suis fait avoir aver Charlie alors je préfère reprendre un ton plus bas. Martel est sorti. il est fâché. J’oublie toujours qu’il est aussi un esclave. Du moins dans un sens, nous, on ne l'a jamais traité comme tel. Nanti, c'est le patron, ne l’aurait pas permis Mais il n’est fiché nulle part. Aucune identité légale. Et ça, ça ne trompe pas sur ses origines. Un fils d'une prise de guerre sans doute. Après, on serait bien curieux de savoir à qui il appartenait mais il a été incapable de nous le dire et on se voit mal aller dans un centre de sécurité et leur dire coucou, on a récupéré ce gosse il y a dix ans, on voudrait savoir à qui il appartient mais par simple curiosité parce que on veut le garder quand même. Vous comprenez, il devait appartenir à quelqu’un d’important car il a un implant planétaire et ca peut nous rapporter gros d’avoir un gamin qui peut aller sur les planètes. D’ailleurs, on se monte une petite escroquerie mais pas grave, notre patron jure que, devant un tribunal, on en sort les mains propres. Du moins tant que la corpo de Valence ne préside pas et qu'on a de quoi payer les pots de vin réglementaires.

Bref, je crois qu’il est tant que je vous raconte l’histoire du gamin sinon mes futurs auditeurs potentiels ne pourront pas comprendre.

Le gamin, nommé Martel, est le résultat d’une mission foireuse. Moi, je l’avais dit de suite qu’il y avait un truc louche. Je l’avais senti. Et question flair, je suis le meilleur. Évidemment personne ne m’a écouté. Appât du gain facile rend aveugle. A la base, il y avait un contrat en bonne et due forme. Un directeur d’une station relais en secteur E23. E pour pas très loin du centre du système mais suffisamment pour avoir la paix et 23 pour 23ème station sur les 5236 du secteur autant dire, sans aucune importance. Ce monsieur, car vu ce qu’il payait, c’était un Monsieur, souhaitait qu’on lui ramène son neveu. Le gamin vivait sur un de ses mondes de rêve de catégorie A, la Belle d’été. Une des quatre planètes à atmosphère respirable du système avec le Joyau vert, l’immortelle et Kelly sauf que Kelly ne compte pas car c’est le territoire des Sylphides. Touchée par la guerre, la famille de Martel avait disparu dans un bombardement. Ca, c’est la version du soi-disant tonton. En ce qui me concerne, je n’ai jamais entendu parler d’esclaves entretenant des relations familiales en particulier avec un chef de stations qui avait la gueule du mec pas net, le style qui trempe dans la sorcellerie à ses heures. Le taxi pour jeune orphelin n’est pas notre créneau, on fait pas dans le transport de personnes. Je pense que le patron n'aime pas les gens, pas rentable mais vu que les affrontements faisaient rages entre la corporation clanique de Valence qui voulait s’approprier le système et les indépendantistes qui voulaient qu’on les laisse magouiller en paix, les vaisseaux respectables évitaient l’endroit. Moi j’ai trouvé cette explication peu convaincante. Il y avait la guerre partout à l’époque. Chercher le gosse ne représentait qu’un risque mineur, et le directeur aurait pu facilement trouver quelqu’un d’autre.

Bref, nous avons foncé tête baissée, un peu aussi car c’était la première fois que nous obtenions une accréditation pour nous poser sur une planète de type A même si à l’époque c’était plus facile à obtenir qu’aujourd’hui. Nous avons respiré de l’air non synthétique, vu un ciel bleu au dessus de nos têtes et même un océan plein d’eau. Un grand. Le genre où on ne voit pas le bout et avec des bêtes vivantes dedans. Nous avons trouvé le gosse à l’endroit indiqué. Nous avons donné les papiers, nous avons embarqué la marchandise, enfin, le petit Martel, et nous sommes repartis sans encombre si ce n’est les autres qui ne cessaient de me charrier sur ma méfiance excessive. Jusque là, mission sans soucis.

Le soucis, c’est quand nous sommes arrivés en vue de la station E23. Il n’y avait plus rien à voir. Elle avait explosé. Un coup des armées de Valence ou des indépendantistes, les deux cotés sont aussi pourris l’un que l’autre de toute façon. Bref, station explosée, donc directeur et tonton du gamin explosés et pognon explosé. Et gamin sur le dos. Alors, pendant quelques temps nous avons cherché le reste de la famille mais il s’est avéré que le tonton n’avait pas de neveu. Si vous voyez ce que je veux dire. C’était une mascarade et nous n’étions pas au courant des détails de l’affaire. Puis on a compris qu’il était esclave quand on a cherché sans succès sa puce d’identité et on s’est dit qu’on allait avoir des problèmes car le détournement d’esclaves, ce n’est pas joli joli. Nanti. Nanti, c’est le patron mais je l'ai déjà dit. Donc, Nanti a répliqué qu’il était contre l’esclavage et qu’il n’entrerait pas dans le système en le dénonçant. Ca ne l'empêche pas de laisser Charlie fabriquer ses clones esclaves mais il dit que c'est différent. La différence s'est surtout qu'on était au bord de la banqueroute quand on a pris Charlie et qu'on n'ose pas le virer maintenant de peur qu'il dénonce nos autres petites magouilles.

Alors le gamin est resté à bord. D’abord sous l’autorité de Sybille, une pseudo voyante qui voyageait avec nous à l’époque. Elle louait sa place un peu comme Charlie aujourd’hui mais en moins rentable. Une pauvre femme qui ramait pour se faire des clients. Elle disait qu’à se déplacer sans cesse, elle ne pouvait pas se faire une réputation nécessaire pour attirer la clientèle. C’est faux, même aux limites du système, elle était connue comme un escroc. D’ailleurs elle a fini par se faire arrêter et a passé un moment en travaux forcés pour abus de confiance. Elle aurait dû écouter Nanti qui lui ressassait sans cesse de travailler ses prédictions afin qu’elles soient invérifiables. Elle avait trop le souci du détail. Aux dernières nouvelles elle ne s'en n'est pas trop mal tirée. Au fond, les gens préfèrent les escrocs aux véritables sorciers, moins dangereux, et, sa peine purgée, elle s’est trouvée un boulot honnête quoique inintéressant dans une station à la limite de la périphérie. Elle a voulu récupérer le gamin. Elle avait un besoin de maternage sur développé et était trop moche pour se faire faire un gosse. En tout cas, c’est ce qu’on disait derrière son dos. Elle était persuadée que ce petit était le fils illégitime du directeur de la station qui se faisait passer pour son oncle et que sa mère était une pute et que c’était pour cela qu’il voulait qu’on le lui ramène discrètement. Elle s’était montée tout un flan auquel elle s’accrochait malgré le démenti de Martel. Alors, pauvre orphelin plus rejeton non désiré de mauvaise vie, il fallait donner en contre partie une vie décente à ce gosse et beaucoup d’amour qu’il n’avait jamais eu. Étouffant. Le gosse nous a supplié de le garder sur le vaisseau. Il ne voulait pas vivre avec cette folle. Le patron a accepté. Ca nous a tous intrigué à l’époque. Le Maître Nanti n’est pas le genre à s’encombrer de bouches inutiles même si laisser qui que ce soit avec Sybille, il fallait admettre que c’était inhumain. Durant un temps, j’en ai déduit qu’il avait une pointe d’humanité surtout quand il a payé une fortune pour lui procurer une fausse puce d'identité.

Nous avons compris bien plus tard qu’il s’agissait d’un investissement calculé. Le gosse avait un implant A. Une sorte de visa global diplomatique. Ce petit bout peut avoir accès à tout. Même aux planètes de type A. Si c’était vraiment un fils d’une esclave de petites mœurs même vivant sur une planète, il aurait eu un implant temporaire à recharger et uniquement pour ce monde. Mais non, lui peut aller partout sans qu'on ne lui demande rien comme s'il sortait d'une famille de méga corpo. J’ignore qui étaient ses maîtres, Martel ne veut pas nous en parler. Nanti nous a dis qu’il avait un choc post traumatique ou un truc du genre et qu’il faut lui foutre la paix. De toute façon on s’en fous de savoir de qui il récurait les toilettes le môme. Jamais nous n’avons vu le moindre avis de recherche donc ils doivent être tous morts mais ils étaient sans doute pleins aux as pour payer un implant global à un esclave.

Je m’arrête un moment pour contempler le paysage. Au dessus du champ de force supérieur du cube que forme la structure en polymère du vaisseau, l’obscurité parsemée d’étoile a disparu avalée par un champ de lumière, nous avons la vue sur la verrière supérieure du vaisseau croisière. C’est le vaisseau que nous avons contacté, le VC soleil artificiel, une tentative de réplique des mondes planétaires pour qui peut se le payer. Il est renversé par rapport à nous. Nos deux verrières supérieures sont en face à face. Imaginez une demi sphère d’environ 15 kilomètres de diamètres avec un écosystème synthétique copié sur celui des planètes de type A. Ce ne sont pas des cabines dans lesquels les gens vivent là dedans mais des villas entières et si nos systèmes de gravités artificielles et nos champs de force disparaissaient soudains, nous pourrions nous écraser sur de l’herbe artificielle.

C’est le niveau bien supérieur à notre dernière arnaque. Il faut avouer que c’est un peu plus illégal que d’habitude mais un peu plus rentable aussi.

Je regarde le gamin, enfin Martel car là, il n’a plus rien d’un gosse. Les bras croisés, son manteau négligemment posé sur une épaule comme s’il portait ce genre d’oripeaux tous les jours. Il a fière allure. Et cette peau brune ! Résultat d'une poudre miracle pour donner illusion qu'il a l'habitude de se dorer au soleil. Nous ne l’avons pas trop démoli à le faire vivre sur ce vieux rafiot.

« Dis pas de conneries ! »

Martel a pour mission de jouer les seigneurs sur le vaisseau croisière. L’IA du vaisseau croisière doit déjà être en train de nous scanner et ne pourra que repérer son accréditation et il a le baratin qui va avec. C’est qu’il a étudié le discours avec le patron. La bande de parvenu qui vit dans ce vaisseau de luxe à faire semblant d’être quelqu’un va se pâmer pour se faire remarquer par ce qu’ils croiront être un fils de patron de méga corpo et se battre pour acheter nos marchandises de pacotille à un prix exorbitant. Effet de mode ça s’appelle.

Attention ça tangue, notre coquille de noix est arrimée. Le temps qu’ils fassent les vérifications d’usage, Je vais me changer et passer mes fripes de serviteurs puisque le Patron en a décidé ainsi.


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