dimanche 25 novembre 2007

Chapitre 3

3

14/01/3023 Datation légale de Valence.

9H30/24 : horaire du vaisseau potentiellement innocente

Journal de bord du potentiellement innocente par Mérino :

Notre passage dans le vaisseau croisière fut un succès au-delà de toutes espérances aussi nous avons changé de trajectoire. Au lieu de dériver vers la plate-forme PF.V512945 en périphérie du système V vendre nos marchandises comme prévu, nous allons gagner un mois sur les prévisions et les bénéfices estimés ont été multipliés par dix. Le petit Martel nous rapporte plus que le doc maintenant et je soupçonne ce dernier d’être jaloux à moins qu’il ait peur qu’on se débarrasse de lui. Il a bien fait quelques affaires sur le vaisseau croisière. Entre les crèmes de soin, les lifting et une insémination, il a du se faire un bon paquet. Charlie est le seul à ne pas être salarié du potentiellement innocente. Il paye un loyer à Nanti sous forme de pourcentage de ses prestations. Entre ça et les talents de vendeurs de Martel, on ne s’en sort pas mal.

Nous avons quitté le vaisseau croisière soleil artificiel le 4/01/3023 à 9h30 horaire du Potentiellement innocente. Direction base d’extraction solaire SO5846 pour finir le stock. Une station plutôt bon chic bon genre, sans pousser dans la prétention des vaisseaux croisière. Elle se présente sous la forme d’un cylindre d’à peine deux kilomètres de diamètre sur une dizaine de longueur qui tourne sur elle-même en orbite autour d’une toute petite étoile. C'est bien plus petit que la plupart des stations et même que certains vaisseaux mais au moins ça lui donne un petit coté conviviale et surtout, à cause de son isolement, les marchandises non alimentaires sont rares. L'endroit idéal pour écouler la fin du stock en beauté. Nous devrions atteindre notre destination dans 24H soit le 15/01/3023 vers 9H30 horaire du vaisseau. Si nous vendons correctement le reste de la cargaison, nous devrions réaliser notre meilleur bénéfice depuis mon arrivée sur le potentiellement innocente. Mais, ça ne suffit pas au patron. Le Maître Nanti songe à prendre des marchandises d’un niveau supérieur. Peut-être des graines ou d’autres produits d’origine naturels. Avec Martel ca se vendrait bien, d’un autre coté, l’investissement est important et en cas de mauvaise rencontre, le potentiellement innocente est trop faible pour résister. Perdre toute une cargaison de babioles à cause de quelques pirates indépendantistes est déjà mauvais pour les affaires mais perdre une cargaison de graines ou de légumes, c’est la banqueroute assurée. En attendant il cogite et tant qu’il cogite, il oublie de s’occuper des investissements essentiels.

Thymothe est entré. Il a l’air soucieux. Je crois savoir ce qui l’inquiète. J’ai emprunté le champ de force qui lui sert de cloison de chambre. Une expérimentation afin de montrer au patron comment gérer nos crédits tous neuf. Thymothe analyse la situation. Il observe que la grande salle a réduit de moitié. Il ne va pas tarder à en tirer les conclusions qui s'imposent.

« Tu as pris la cloison de ma chambre ».

Bien vu Thymothe. Regarde ça plutôt et imagine. Des coussins contre la cloison. Ou mieux, des fauteuils. Des vrais coulés dans le polymère de la structure et dans lesquels on s’enfonce. Un champ audio au plafond pour diffuser le son uniformément et un écran tridimensionnel intégré dans le champ de force.

« Et où est-ce que je dors ? »

Tu ne penses qu’à ça. Avec le pognon que nous rapporte Martel, on peut bien en acheter un deuxième avec isolation phonique comme celui d'Echo.

« Le Maître Nanti refuse de dépenser l’argent en ce qu’il nomme : « futilité » avant d’avoir mis de coté ce qu'il nomme : « le nécessaire ». En plus le champs de force d'Echo est mort ta réparation n'a pas tenue le coup. »

C’est Charlie qui vient d’entrer en traversant le champ de force. Il ne devrait pas pouvoir le traverser. Il est sensé être répulsif. La réparation de celui-là non plus n’a pas tenu le coup. Et le Patron ose appeler ça de la futilité. Il tombe en miette ce vaisseau. Et voila que la lumière nous lâche encore. On passe sur les batteries de secours. Ca fait ça dès qu'on accélère trop rapidement.

Qu'est-ce qui se passe vaisseau ?

« Accélération trop rapide, changement des priorités de flux énergétiques. »

Merci de l'info, pourtant, depuis le temps, je devrais avoir compris que si je veux des renseignements utiles, je ne dois pas les demander à une machine.

Qu’est-ce qui se passe Echo ? Désolé d’avoir hurlé mais c’est pour me faire entendre de notre pilote à l’autre bout du vaisseau. Dans la gestion des priorités, les hauts parleurs de transmission claquent en premier. Stupide, si vraiment il y a une urgence, la communication au sein du vaisseau est essentielle. Faudra que je reconfigure ça. Le vaisseau a fait une embardée. Pas de réponse. Va falloir que je bouge encore. Je laisse Thymothe récupérer son champ de force. Ou du moins ce qu’il en reste et je m’engage dans le puit pour monter au poste de pilotage. Monter ou descendre. Difficile à dire vu que le puit est dépourvu de pesanteur. Je retrouve Echo et le Maître Nanti perdus au milieu d’une dizaine d’hologrammes qui se superposent, les transpercent et couvrent toute la salle. Je ne comprends pas comment ils s’y retrouvent dans ce fouillis.

Problèmes ?

Ils me désignent un point d’un doigt qui traverse un hologramme.

Ca me dit rien, bien trop complexe pour moi mais vu leur air soucieux, je suppose que la réponse à ma question est oui.

« Il accélère. »

Les moteurs sont revenus au ralentis sur le potentiellement innocente et le projecteur principal a repris son rôle. Je conclus donc que le patron ne parle pas de nous.

« Et il vire vers nous ».

La voix du pilote exprime toute l’angoisse de l’univers, pire que s’il nous pleuvait dessus. J’en déduis qu’on ne parle pas de potes.

Echo s’est mis à appuyer partout tout en aboyant une dizaine d’ordre au vaisseau. Nanti a payé à Echo un implant d’interface de communication avec le vaisseau afin qu’il réagissent plus vite et évite de gueuler à tout bout de champs mais il perd encore du temps à lui parler à voix haute. Si c’est pas du gâchis. Certains hologrammes sont devenus solides et je me suis fracassé la tête sur l’un d’eux. Comme si ça ne suffisait pas, je me suis fait insulter car mon coup a fait manœuvrer le vaisseau pas comme il le fallait. Ils peuvent prévenir aussi.

Mais qu’est-ce qui se passe ?

Echo ne m’a pas répondu. Il s’est mis à tapoter certains points des hologrammes les faisant changer de couleur avant de les déplacer ou les superposer. Je ne pense pas que la visée de la chose soit purement esthétique.

Le Patron ne m’a pas répondu non plus. Mais ça, c’est normal. Il est rare qu’il prenne la peine de répondre aux questions. Sauf peut-être avec Martel. Je crois qu’il a un faible pour ce gosse et pas uniquement à cause du fric.

J’ai réitéré ma question. Echo a fini par avouer qu’on était poursuivi par des indépendantistes.

En général, c’est pas le genre de vaisseau programmé pour faire coucou

J’ai du avaler de travers. C’était pas le pied. Il nous restait le quart de la marchandise à écouler et pour mes projets, une belle prime est indispensable. On a déjà perdu un gros stock ainsi il y avait à peine six mois et nous étions seulement à 24h de la flotte de pigeon à plumer

« Echo combien de temps avant de récupérer un champ d'accélération raisonnable ? »

C’était le patron qui parlait moi, j’y connais rien en manœuvre pilotage et compagnie sauf pour suivre un tracé bien droit au milieu de rien.

« Le temps de recalculer les coordonnées. »

Mauvaise réponse, même moi je sais que quand le patron demande combien de temps, faut lui sortir un nombre. Et précis en plus.

Il s’est repris. « 16 minutes.

- Et combien avant de se trouver coincé par l’autre vaisseau.

- 9 minutes. »

Les maths c’est mon domaine aussi je peux mettre ma contribution à l’affaire : « Ca va pas passer. »

Ils n’ont pas fait attention à mon intervention. Le patron a crié : « en arrière, il faut les prendre de vitesse. »

A peine a-t-il dit ça que le vaisseau a viré de bord mais la gravité artificielle n’a pas suivi et je me suis retrouvé à terre. Cela dit, je n’en veux pas au pilote, priorité oblige. Trois hologrammes ont disparu et j’ai pu apercevoir l’espace derrière nous. J’ai même aperçu la silhouette de nos poursuivants. Quand on les voit à l’œil nu, c’est qu’ils sont trop près. Et celui là, je le voyais de mieux en mieux. J’aurais aimé croire que c’est parce que mes yeux s’habituaient mais la vérité c’est qu’il se rapprochait. Et vite en plus.

« Accélère » a crié Maître Nanti. C’est rare qu’il élève la voix. Il se casse les cordes vocales uniquement quand la situation était désespérée.

« Je suis à fond ».

Echo a sorti tout un tas de juron dans un dialecte que je ne connais pas mais l’intonation suffit. C’est que même sur la Belle d’été où il est né, les jurons, on connaît.

Ce n’est pas le moment de leur expliquer mon projet de salle de projection.

Il y a eu comme une secousse. Je me suis demandé si on ne nous avait pas tiré dessus puis j’ai senti la déflagration sur le champ bouclier. Comme réponse à ma question, c’était violent. Le bruit est pire que le choc lui-même mais c’est plutôt bon signe, c’est le champ protecteur qui vibre. « Le champ a absorbé le choc » a confirmé Echo.

Oui. On peut faire confiance en cette vieille carcasse de potentiellement innocente. Peut-être pas le vaisseau le plus rapide, mais c’est du solide. Je lui ai concocté quelques petites améliorations sur les boucliers externes.

Le patron n’était pas convaincu. J’ai senti un deuxième choc, plus fort, et je me suis encore retrouvé à terre. Puis à nouveau la déflagration et mes oreilles se sont mises à sonner. Derrière le bourdonnement, j’ai entendu le patron dire que ce n’était pas normal que le champ tienne le coup. Bonjour l’optimiste. C’est moi qui l’ai bricolé, évidemment qu’il est solide.

Le patron a paru encore plus sceptique devant ma remarque. C’est beau la confiance !

Echo a désigné un écran du doigt. Quand comprendra-t-il que je ne comprends rien aux écrans ? Il y a eu un nouveau choc, une nouvelle déflagration. Le patron a pris les commandes et a piqué. Je suis tombé contre le champ de force supérieur. Le vaisseau a fait suivre la gravité et je suis retombé au sol. Et si le champ est amorti, le sol est dur. J’aurais bien aimé que quelqu’un me plaigne mais le patron s’est contenté de gueuler que je ferais mieux de m’accrocher. Il n’avait pas tort mais en principe le vaisseau anticipe ce genre de manœuvre.

« Le système gravitationnel est endommagé » a dit le vaisseau.

Je m’en occupe. Faut bien que je serve à quelque chose

« Pour l’instant accroche-toi. On verra ca plus tard » Je me suis assis. Il y a eu un nouveau choc et un écran s’est volatilisé. Au moins on y voyait plus clair. Et je n’aimais pas du tout ce qu’on voyait.

Je croyais qu’il n’y avait qu’un vaisseau !

Il y avait toute une flotte devant moi.

« Il nous a escorté comme un bébé en nous poussant vers les autres avec ses petits coups ».

En plus de la situation désastreuse, le système gravitationnel en avait pris un sacré coup et se coupait par moment. Heureusement que j’étais bien accroché sinon je me serais retrouvé à flotter puis à retomber, pour flotter à nouveau et encore retomber. Bien sanglé, le mouvement se cantonnait à mon estomac.

« Je vais vomir !

- Attends que ces pirates d’indépendantistes nous aient appareillés et tu pourras lâcher ton estomac sur eux. »

C’est qu’il était capable de faire de l’humour notre Maître Nanti.

Echo nous a fait une crise d’espoir. « On va leur échapper » qu’il a dit !

Le patron l’a fusillé du regard. Il était furieux et prêt à lâcher sa hargne sur n’importe qui.

Pour ma part, j’étais désespéré. C’était ma salle de projection qui partait en fumée, ma nouvelle caméra aussi. Puis j’ai commencé à me remémorer ses histoires qu’on m’avait raconté lors d’une halte de réapprovisionnement dans un de ses bars qui fait qu’on se sent partout comme chez soi tant ils se ressemblent tous. Bref, ça parlait de gangs du type qu'on trouvait sur la frontière qui tuaient tous l’équipage et violaient les femmes et je craignais qu’il ne s’agisse pas uniquement de rumeurs. C’était pas nos premiers pillards mais on trouvait maintenant des gars de plus en plus vicieux surtout si loin du centre. Valence à beau dire qu’ils assurent la protection de tout le système, c’est rare qu’on voit un vaisseau de patrouille. D’un autre coté, à part dans ce genre de cas, on est bien content de ne pas en voir trop. Bon, déjà, il n’y avait pas de femme à bord à violer. Mais tuer l’équipage ! Ma vie n’était peut-être pas mirifique mais j’y tenais quand même un peu. Echo avait coupé tous les moteurs et lancé le signal de reddition. Le patron était sorti en s’agrippant à la barre de secours. Le système gravitationnel avait été désamorcé. J’ignore à qui je devais cette manipulation ingénieuse mais je le remercie. Il avait sauvé mon estomac.

J’hésitais à quitter mon harnachement.

Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

« Le propulseur a manqué le premier créneau d'accélération. Mauvaise gestion du flux énergétique. »

Je fis semblant d'ignorer sa remarque sous-jacente comme quoi c'était de ma faute. J'avais déjà bidouillé ça mais vu les moyens, je fais ce que je peux. Je déviai la conversation dans un style mélo dramatique pour éviter qu'on me culpabilise.

« Tu crois qu’on va mourir ? »

Echo a imité le regard qui tue du Maître Nanti mais on n’y croit pas, il n’est pas convaincant dans le rôle.

« On croirait que c’est la première fois que tu te fais arraisonner ». Non, ce n’était pas la première fois, loin de là. Je ne comptais plus le nombre de fois où on s’était retrouvé dans ce genre de situation et je comptais encore moins le fric qu’on y a perdu. Trop déprimant.

Echo a agrippé la barre de soutien d’une main. De l’autre il a décroché une arme puis il n’avait plus de main pour se décrocher alors il a lâché son arme qui est parti voleter un peu plus loin poussée par les circuits de ventilation, il l’a rattrapée in extremis avant qu’elle parte hors de portée. J’ai ordonné au drone de prendre sa place dans le chargeur et n’ai gardé que le micro. Son chargeur est dissimulé sous une tonne de câble, jusqu’à maintenant, cette planque a toujours été fiable. J’ai poussé un soupir, détaché les agrafes de mes sangles et j’ai regardé un moment Echo tenter de faire trois pas en apesanteur. C’est qu’on forme une fine équipe. Je l’ai suivi avec la même grâce que lui, c'est-à-dire aucune, Il y avait des bruits métalliques, du genre que fait l’accroche d’un vaisseau contre notre sas. Le patron attendait devant l’entrée, bras croisés, dans une posture très digne et il avait presque l’air de tenir au sol. Thymothe l’avait rejoint, le bras agrippés autour d’un tuyau afin de tenir debout, et accessoirement se cacher derrière, un flingue dans chaque main et un couteau en travers de la bouche. Tout ce qu’il pourrait faire ainsi c’est se couper. Echo tentait de se planquer derrière des caisses qui ne tenaient pas en place.

Charlie avait dû aller se cacher quelque part, le plus loin possible. C’est ce qu’il faisait toujours en cas d’attaque. Quant à Martel, Nanti avait sans doute du lui ordonner de se planquer avec un ou deux coup de pied au derrière pour se faire obéir du gamin avant qu’il se lance à attaquer une flotte indépendantiste entière avec juste ses deux petits poings. Je me dirigeais vers la salle des machines. L’ordinateur avait analysé les dégâts. Pas dramatique. Les systèmes s’étaient coupés pour éviter la surchauffe. Quelques cours circuits avaient été maîtrisés. Je fis passer les systèmes internes sur le générateur auxiliaire ainsi je pourrais à loisir vérifier le système principal. En quelques minutes, j’arrivai à réenclencher le centre de gravité. Mon exploit fut presque immédiatement suivi par les bruits divers de multiples objets qui tombent puis d’un cri et enfin d’un juron.

Voila comment on est remercié.

Le temps de revenir à la salle principale, nos piques assiettes avaient embarqué. Deux hommes vêtus entièrement de noir faisaient face à Nanti. Ils étaient entourés par une véritable armée. J’eus juste le temps de me planquer derrière une caisse au coté d’Echo et de lui donner un léger coup de coude histoire de dire : « je suis là, qu’est-ce que j’ai manqué ? »

Il comprend le code, à force de vivre en autarcie, on se comprend au moindre geste. « Lui, c’est le chef ». Il désigne un des deux hommes face à Nanti.

Je l’aurai deviné. Il émane de lui, un je ne sais quoi, genre le mec pas sympa, qui a plein de pognons et une flotte de vaisseaux entière sous ses ordres. Dire qu'il y a à peine dix ans, c'étaient les mêmes qui nous faisaient de beaux discours sur la liberté pour recruter le plus de pigeons possible pour se battre contre les armées de Valence. Il porte aussi une sorte de tatouage sur la joue. Je suis trop loin pour en distinguer les détails et je n’ai aucune envie de m’approcher. D’autant plus qu’il est bardé d’implants en tout genre. Il y a plus de métal sur sa tête que de cheveux. Je profite qu'il tourne la tête pour repérer qu'il n'a pas d'implant psychique. C'est toujours ça de pris. Celui à ses cotés aussi porte un tatouage. Plus précis, juste un chiffre deux écrit dans l'ancienne langue. « C’est son second tu crois ?

- Tu dis ça à cause du tatouage ? Peut-être oui. En tout cas, c’est un mec important ».

Sur le potentiellement innocente, il n’y a pas de second. C’est un concept que j’aurais aimé. Surtout si c’était moi qui avais la place mais le patron ne voit pas les choses ainsi. Pour lui, il y a lui qui commande et les autres qui obéissent. Il ne veut pas que d’autres donnent des ordres. C’est dommage, second de vaisseau, c’est la classe. Même sur un tout petit comme le nôtre.

Je prends le flingue que me tend Echo. Ca fait plus sérieux. Nanti et les deux hommes négocient toujours. Au moins ce sont des gars qui respectent les règles, c’est rassurant.

Le patron se décide à se tourner vers nous.

« On lâche les armes. »

De toute façon, vu qu’on ne sait pas s’en servir, on ne se fait pas prier.

Le second nous ordonne de venir auprès du patron tandis qu’une dizaine d’hommes envahissent le potentiellement innocente. Le patron reste de marbre mais serre les dents. Je donnerais cher pour savoir ce qu’il pense en ce moment. Enfin pas trop cher car je ne suis pas certain d’être payé ce mois-ci.

C’est que le potentiellement innocente, c’est un peu comme le bébé de Nanti, parfois j’ai l’impression qu’il a plus d’affection pour ce rafiot que pour les hommes à son bord. Enfin, ce n’est pas vrai, c’est pas une impression, c’est une certitude.

Je me laisse glisser contre la paroi pour m’asseoir. Je me trouve avec une dizaine d’armes en tout genre pointées sur moi. « Du calme les mecs, je m’assieds, c’est tout. » C’est toute une petite entreprise bien rodée qui défile devant nous, fouillant, tâtant, ouvrant les caisses. Très méthodique. Pas le genre : grosses brutes qui cassent tout. Ils vérifient les marchandises, notent les stocks, les font porter sur leur vaisseau. Leur chef reste dans la salle centrale tel un chef d’orchestre distribuant ses ordres. Son second ne nous lâche pas des yeux. Les poings de Nanti sont serrés à se démolir les jointures. Un gros costaud arrive vers nous tenant d’un bras Charlie qui traîne la patte, résigné et de l’autre Martel qui se débat en tout sens. Il projette l’un et l’autre à nos pieds puis s’en retourne à sa tâche sans un mot.

Un autre présente au commandant le déguisement de fils de riche de Martel. Le petit prend une bonne inspiration afin de faire porter son indignation mais se retrouve par terre, la respiration coupée par un coup de Nanti.

Le maître indépendantiste est ravi. Il admire le tissu en connaisseur.

« J’ai du mal à imaginer que vous portiez ce genre de chose.

- Prise de guerre » souffle le patron.

Le chef ébauche un sourire. « Alors nous sommes entre confrère ». Il jette un air dédaigneux autour de lui « confrère de bas niveau mais confrère tout de même. »

Nanti ne répond pas.

Martel se rebelle à nouveau et reçoit un nouveau coup de Nanti.

« Mais laissez s’exprimer ce garçon » s’indigne le chef indépendantiste.

Martel ne se le fait pas dire deux fois, il sort un chapelet de juron à faire pâlir même une prostituée.

« Ce petit n’a pas le sens des affaires » se contente de remarquer notre tortionnaire les habits de Martel sous le bras. Négligemment il détache l’agrafe de la cape. La tend à un de ses hommes qui l’observe attentivement et fait non de la tête et le chef jette la pacotille au pied de Martel. Il prend ensuite la liste que lui tend un de ses hommes, la parcoure rapidement et soupire.

« Les temps sont durs, quelle piètre marchandise ». Il coche quelques cases, roule l'écran flexible et le tend à son second qui distribue les ordres. J’en profite pour écouter la situation. Ils embarquent la plupart des caisses, nous en rendent deux contenant le reste des talismans de Marvin. Sans doute n’ont-ils pas le réseau pour les écouler. Les marchandises ésotériques se vendent mal. Une bonne proportion des populations ne croit pas en leurs effets et j’en fais plus ou moins parti. Des sorts de poche pouvant être utilisé par n’importe qui, c’est un peu de l’arnaque. Pour écouler ça, il faut connaître le milieu assez riche pour perdre de l’argent dans de telles futilités mais pas assez pour se payer les services d’un Shaman ou d’un vrai sorcier. Nanti s’est lancé dans ce commerce justement parce que ces un domaine ayant peu d’intérêt pour les indépendantistes mais vu notre nouvelle activité d’escroquerie florissante, il a voulu se diversifier et les nouvelles vont vite.

Ca y est, notre vaisseau est vidé autant de ses marchandises que des hommes de la flotte pirate.

Les quelques hommes qui nous tiennent encore en joue s’éloignent en reculant précédé par le second et le chef qui disparaissent par le sas.

Nanti fait quelques pas. A le voir écrasé ainsi je me demande si je n’ai pas poussé la gravité un peu fort mais il se reprend.

« Nous sommes en vie, il n’y a pas de blessés, le potentiellement innocente n’est pas endommagé. Le reste n’est qu’accessoire. On reprend la route, comme d’habitude ».

Il va mal notre patron, voila qu’il se préoccupe de nous avant de parler de son vaisseau. Il faut vraiment qu’il soit démoralisé.

Martel se lance dans une grande tirade digne du gamin de quinze ans qu’il est. Il dit que c’est une honte de devoir courber l’échine contre de vulgaires opportunistes, qu’on aurait du se battre et tous les écraser.

Je lui rétorquerais bien que ils avaient une flotte de dix vaisseaux tous plus récents plus rapides et mieux armés que le potentiellement innocente. Qu’ils étaient sans doute au moins une centaine hyper entraînés là-dedans et que nous, nous sommes six, enfin cinq car Charlie n'est qu'un boulet et que nous ne savons pas nous battre excepté le Maître Nanti et peut-être Thymothe et encore, je ne suis pas sur. Et que même si on savait, on ne serait encore que six contre une armée.

Mais discuter avec un ado en fureur, c’est du temps perdu.

Voila qu’il insultait maintenant les armées de Valence pestant contre les taxes de protections qu’ils nous forçaient à payer alors qu’ils étaient incapables de nous protéger de quoi que ce soit. L’éternel débat ! Il ferait mieux de venir m'aider pour les réparations du champ externe.

« Tu as raison Martel. »

L’encourager est encore plus stupide. Je regardais ébahi le patron qui venait de sortir cette ineptie. N’importe qui d’autre, je lui aurais dit de la fermer. Il y a comme une étincelle dans ses yeux. Il fait face au gamin. « On mettra les moyens mais le potentiellement innocente ne courbera plus la tête devant les indépendantistes, ni Valence, ni personne. » La folie est contagieuse aujourd’hui.

Minute. « Ouhou, le potentiellement innocente appelle l’espace imaginaire, Patron me recevez-vous ? Un appel de la réalité, ici six tronches de cake dans un vaisseau pourri ».

Le patron se retourne vers moi. Je ne sais pas trop comment rattraper le coup. J’ai peut-être été légèrement irrespectueux là.

« Ne dis plus jamais que le potentiellement innocente est un vaisseau pourri, tu entends, jamais. Sinon, tu iras le voir de l’extérieur. »

J’ai comme une boule là, comme si j’avais un col trop serré qui m’empêchait de respirer ou d’avaler. Quand le patron détache les syllabes ainsi pour se faire bien comprendre, c’est mauvais signe

« Désolé patron, j’ai les nerfs qui lâchent, ce n’est pas tous les jours qu’on se fait attaquer.

- En effet, c’est tous les six mois et j’ai bien l’intention que ça n’arrive plus ».

Il tourne les talons et quitte la pièce principale Martel sur les talons qui se lance dans une description du potentiellement innocente transformé en machine de guerre partant à l'assaut de Valence et des indépendantistes. Enfin lui, c’est normal il a 15 ans mais Nanti a passé l’age.

Les autres n’ont pas dit un mot. Charlie se décide : « Faut qu’on arrête la marchandise de luxe. Si ce ne sont que les flottes guerrières qui s’y risquent c’est parce que c’est trop dangereux. Je l’avais dit à Nanti mais il ne m’écoute jamais. Les marchandises ésotériques se vendent bien et on devrait s’en contenter.

- Tu crois que Nanti est sérieux ? Tu crois qu’il veut nous jeter en pâture aux indépendantistes ? »

Charlie hausse un sourcil, rien que l’idée pourrait le faire défaillir. Il était où celui là au fait pendant la bataille ?

Thymothe se racle la gorge. « Nanti n’est pas un idiot ni un gamin inconscient.

- Il est juste sur les nerfs reprend Echo, ça va lui passer.

- Oui, j’espère. » Echo reprend les commandes. Direction G232 pour vendre les deux caisses que dans leur grande mansuétude les indépendantistes nous ont laissées. Pas la peine d’aller sur la station V5846 avec si peu. Et ensuite retour chez Marvin pour approvisionnement en espérant que le patron s’en contente.

Quant à moi, je vais m’occuper des réparations sur le champ externe et le système principal. Ca va m’occuper un bon bout de temps

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