dimanche 25 novembre 2007

Chapitre 6

6

30/02/3023 Datation légale de Valence.

15H00 / 24 : horaire du vaisseau potentiellement innocente

13H00/32 : Horaire 3eme base planêtaire de Froide


« Prends un autre verre, je sens que tu en as besoin.

C’est Marco qui a dit ça. Un vieux pote à moi. On s’est rencontré il y plus de dix ans, depuis, on se voit une fois par an quand on a le malheur de faire les réserves d’eau sur la Froide. Et encore, ça faisait bien trois ans qu’on ne s’était pas vu cette fois ci. Mais, on se parle à l’occasion quand on arrive à pirater un créneau sur les réseaux comm. Les communications sont de plus en plus pénibles. Tant qu’il s’agit de communications prioritaires, ça passe mais pour dire bonjour à un pote c’est de plus en plus compliqué et onéreux. Alors moi, jusque récemment je faisais passer mes communications perso comme prioritaire mais on s’est fait repérer, Nanti a dû taxer. Enfin il a déboursé ça de ma paye alors maintenant, j’évite.

Marco est toujours la bouteille tendue au dessus de mon verre à attendre que je me décide

Oui, remplis-le moi, je finis mon compte rendu.

« Il garde en mémoire le détail des missions du potentiellement Innocente ». Heureusement que Martel est là pour les explications. Qu’est ce que je ferais sans cet incorrigible mêle tout.

« Ha c'est à ça que sert le micro satellite qui tourne au dessus de sa tête. Parce que vous ne faites pas que vous la couler douce sur le potentiellement innocente ? »

La ferme, je ne peux rien enregistrer dans ce boucan. Et Marco qui fait des poses débiles devant le drone.

Tu peux toujours faire le beau la carte graphique est naze ». Ho et puis, je vais laisser Martel et Marco et me poser à l’écart.

Compte rendu du potentiellement innocente en transit sur la planète Froide. Nous n’avons rempli que la moitié de la cargaison du vaisseau avant d’appareiller. Nanti était pressé de partir. L’équipage étonné et je n’osais pas dévoiler ses projets consistant à transiter par la planète Kelly ce serait un coup à ce qu’on me le reproche comme si c’était de mon idée alors que j’ai tout fait pour le dissuader de ce projet. Aussi, quand on m’a demandé pourquoi on repartait si vite, lâchement, j’ai dit que je n’en savais rien.

Le patron a réuni l’équipage et a commencé ainsi avec un grand sourire : J’ai une surprise pour vous.

Toutes les oreilles se sont tendues. Et il a continué

Nous nous dirigeons vers une planète et plus, nous comptons atterrir dessus.

Il y a eu des acclamations de surprise de la part d’Echo, le nom du joyaux vert est sorti de la bouche de Charlie, c’était la planète de catégorie A la plus proche. Thymothe a grogné qu’il ne descendrait pas et qu’il refusait qu’on pollue le vaisseau avec de l’air non traité.

Moi, je savais qu’il parlait de Kelly alors je n’ai pas sauté de joie. Puis Nanti a continué surprenant tout le monde même moi. Nous allons sur la planète Froide. Il y a eu un hooo de désespoir puis chacun est retourné vaquer à ses occupations.

« Quoi ? » a dit Nanti comme s’il était vraiment étonné de leur réaction en se tournant vers Thymothe et moi les seuls à ne pas être déçus, il a dit qu’il fallait bien qu’on se ravitaille en eau.

Il a fait semblant d’être étonné mais j'ai très bien perçu la joie perfide qu’il éprouvait à avoir donné de faux espoirs aux autres.

Thymothe a répliqué qu’il préférait cent fois cette boule de glace remplie d’intégristes dérangés du cerveau car au moins, il y avait un champ de force et de l’oxygène. Enfin, ce qui pour lui est du vrai oxygène, traité, antibactérien. Voila comment on s’est retrouvé sur Froide. Moi, je n’étais pas mécontent, Nous allions de moins en moins sur Froide. D’abord c’est excentré même par rapport à nos trajets pourtant souvent excentriques afin d'éviter les mauvaises rencontres du genre contrôle de la corpo de Valence et puis l’ambiance y est de pire en pire : Les conditions sont rudes car toute l’économie est centrée sur le recyclage de la glace en eau potable. C’est un travail épuisant dans un environnement hostile mais en plus, comme si ça ne suffisait pas, ils se rajoutent des problèmes. Ainsi, il y a là dedans une profusion de sectes mystiques des plus malsaines. On dirait que ces gens sont en pleine régression. Par contre, j’y ai un bon copain. Enfin, j’avais un bon copain car depuis notre arrivée, il n’arrête pas de me charrier ce qui fait rire Martel mais moi, beaucoup moins.

« Tu as fini de raconter ta vie à cette machine. Je te mets un glaçon dans ton verre. C’est le petit luxe du coin ».

Quand on parle de lui. C’est mon pote en question. Il s’appelle Marco. Il est ingénieur dans une petite exploitation de glace. Je vais y aller. C’est pas tous les jours qu’on a des glaçons.

« Parait que les affaires marchent ?

Vu les affaires qu’on fait, je préfère éviter d'être trop précis dans ce domaine. On se débrouille

« Tu en as de la chance, ici c’est pas le pied. »

J’ai cru le comprendre, En passant la douane, on nous a dit que la section deux nous était interdite. C’est quoi encore que ces histoires ?

« C’est justifié. C’est un véritable coupe gorge. Il se passe des choses vraiment pas nettes. Le taux de suicide ne cesse d’augmenter au point que maintenant, il s’institutionnalise. Les gens viennent se suicider en se jetant des gorges du delta et des tribunes ont été installées au bas pour assister au spectacle des mecs écrasés et les louent pour leur dévouement prétextant que leur mort est une offrande à Froide. Ils interdisent le secteur aux nomades de passage pour éviter que certains se retrouvent en héros suicidé car, s’il n’y a pas assez d’offrandes, les étrangers sont vite passés par-dessus bord de force.

« C’est horrible ! » S’est exclamé Martel. Moi, je me suis contenté de faire remarquer que ce n’était pas bon pour le commerce. A force de bourlinguer, on est blasé aux absurdités de la race humaine.

« Les extrémistes font courir l’idée que plus il y aura de suicide plus il y aura du boulot pour les autres.

Stupide.

« Tu peux le dire, déjà, nous sommes mal placés mais en plus certains font un détour jusqu’à Traille pour se réapprovisionner alors qu’ils sont plus chers. Tu veux que je te dise, à faire les cons comme ça, un jour, on remettra les IA au pouvoir. Le travail sera mieux fait, plus vite, et sans râler. Je veux bien faire du social en embauchant de la main d’œuvre humaine mais faut qu’ils y mettent du leur. Il y a déjà deux exploitations qui ont fermé depuis le début de l’année de Froide. En plus les taxes ne cessent d’augmenter comme pour tout exploitant de matière première. »

Et évidemment, je suppose que vous n’avez pas la sécurité dont vante le clan de Valence.

« Bien sur que non. Valence, on les a vu il y a cinq ans quand il y avait encore la Bérangère au pouvoir. Ils sont venus remettre un peu d’ordre. Mais maintenant que la situation est désastreuse, plus personne.

A la dernière réclamation, vous savez ce qu’on s’est vu répondre ?

Une fois qu’ils se seront tous suicidés, le problème sera résolu. Je te jure”

Oui, évidemment.

« Tu sais », il continua sur un ton plus bas. Nous étions installés à une table d’un bar public à l’extrême limite du champ de force protégeant du climat invivable de froide. Le panorama dominait des glaciers à perte de vue et le vent soulevait des tonnes de neiges. Mais moi, avec ma chemise, à l’intérieur, j’étais bien.

Il regarde encore autour si personne n’est dans les parages pour surprendre notre conversation. Grâce à mes talents de bricoleurs, j’ai réussi à réparer un capteur et le mettre en réseau avec mon drone pour subvocaliser mes commentaires. Très discret. Et, sans me vanter, c’est un boulot de pro vu le matériel à ma disposition.

Marco est près à parler. Il ouvre la bouche, c’est parti : « Je tiens à dire que je ne me suis jamais impliqué dans la guerre mais je dois admettre que l’idée d’un gouvernement centralisé pour régenter le système, j’étais plutôt pour. C’est vrai pour le commerce, ça a du bon : monnaie commune, lois communes, horaires communs, langue commune, ça facilite les choses ».

Il marque une pause attendant sans doute une réaction de notre part. Je hoche la tête. Ca peut aussi bien vouloir dire oui que non. Dans un sens, sur ce qu’il a dit, je suis d’accord. Surtout pour nous les nomades c’est plus pratique mais il y a de l’abus et c’est une perte de liberté, d’individualité. J’en aurais des choses à dire sur le sujet mais si j’ai appris une chose, c’est que, pour garder de bonnes relations avec ses potes, il faut éviter de parler politique. Marco n’a pas du apprendre ça. Il continue sur une pente vraiment glissante. Et on s’y connaît sur la Froide en pente glissante. « même plus loin » continue-t-il si bas que je dois mettre le micro à fond. « Que ce soit le clan de Valence qui dirige le système, je trouvais que ce n’était pas une mauvaise idée. Au moins, ils avaient la carrure même si ça passe par la sorcellerie. Et c’est vrai qu’avec eux, certaines voies sont devenues plus sures en particulier dans le centre du système et ils nous ont apporté de sérieuses améliorations techniques. Du temps où la Bérangère était chef de la sécurité, ça se passait bien. Elle était ferme, demandait des taxes énormes mais au moindre pépin, c’était une armée entière qui déboulait pour le résoudre. Au fond, nos n’avons jamais autant prospéré que durant cette période. Et l'empereur Pantin savait se faire respecter. Maintenant, on dit que c’est à peine s’il peut se déplacer de son lit à son fauteuil. D’ailleurs avoir élu Kari comme chef de la sécurité a bien prouvé qu’il avait perdu la tête. Avec Kari, c’était la déchéance, genre on vous plaint, on traite le dossier, on pense à vous… mais rien de plus. Paraît qu’il marchait au pot de vin. Jamais essayé, on n’a pas les moyens. Et maintenant que Mélanie a été élue chef de la sécurité…

« Mélanie a été élue chef de la sécurité !? » Le hurlement, c’est Martel. Je baisse le micro.

Marco se reprend. « Non c’est l'ordonnance Malhari qui a pris le poste mais tout le monde sait qu’il a trop à faire et qu’il gère maintenant le système à la place de son père même si ce n’est pas officiel. A mon avis, Mélanie a toute liberté pour agir à sa guise et même si ce n’est qu’une esclave, devant elle, la seule chose d’intelligent à faire, c’est la fermer.

« Qu’est-ce que tu en sais ? » maugréa Martel.

Je lui donnais un coup de coude. Il était temps qui lui aussi apprenne qu’il y avait des sujets de discussion à éviter. En plus il n’y connaissait rien en politique, il n’avait pas connu de vrais conflits du moins pas depuis ses dix ans. Marco continuait imperturbable. Sans doute n’avait-il pas souvent l’occasion de parler ouvertement.

« C’est simple plus personne n’ose même réclamer quoi que se soit de crainte de la voir débarquer. On sait comment elle résout les problèmes. Elle serait capable de faire exploser Froide. Plus de planète, plus de problème. C’est ce qu’elle a fait pour la station K34. Elle a tout fait sauter prétextant que c’était un ramassis de drogués et de délinquants. »

- Ca va, n’exagère pas » lance Martel. « Et d’ailleurs, tu te contredis, tu dis vouloir faire passer ton exploitation sous intelligence artificielle mais tout le monde sait que c’est ce qui a détruit la K34. A force de tout gérer par IA, ils n'avaient tellement rien à faire qu’ils sont devenus dingues.

- De là à les faire sauter. La folie des grandeurs du clan de Valence, c’est une chose de s’approprier tout le système, c’est autre chose d’être capable de le gérer derrière. »

En ce qui me concernait, j’étais bien content que Valence ne nous ait pas dans le collimateur mais d’un autre je comprenais que mon pote réclame ce à quoi il avait droit. Valence nous obligeait à leur verser une fortune en taxe en tout genre soit disant pour assurer la sécurité mais si leur flotte était une véritable forteresse, la sécurité s’arrêtait là. Ils étaient incapables de gérer un espace aussi vaste. D’un autre coté, si c’était pour avoir Mélanie sur le dos, c’était soigner le mal par le mal. Ses méthodes sont un peu trop expéditives. Soit tu es d’accord, soit tu es mort. Une vraie spécialiste du nettoyage par le vide.

Sans doute Martel n’est-il pas assez mur pour comprendre tout ça.

Je vais le plaisanter pour détendre l’atmosphère. C’est que l’humour, ça me connait : C’est toi qui défends Mélanie ! où tes hormones ?

Je prend Marco à témoin. « C’est peut-être une salope mais elle est sacrément bonne. » Marco approuve vivement. « Une chaude » précise-t-il. Au moins, ça déviait la conversation sur un sujet moins sérieux et non soumis à polémique.

Martel s’est levé d’un bond. « Je ne défends rien du tout. Je déteste Mélanie, sans doute bien plus que vous, c’est la créature la plus vile de tout le système. Elle n’a aucune moralité, elle ne pense qu’à elle. C’est un… un monstre » finit-il par sortir s’égosillant presque attirant l’attention générale.

Jamais je n’avais senti tant de haine dans les propos du gamin. Il continuait : « Mais vous ne valez guère mieux à parler de façon si vulgaire. C’est une femme et la traiter ainsi, ça, …Ca ne se fait pas » conclut-il ne trouvant rien de plus consistant. Et arrête d’enregistrer Mérino »

Hum hum

Il s’est éloigné. Il longeait le champ de force absorbé par le paysage. C’est vrai que c’est grandiose. Il y aurait moyen de faire quelque chose ici. Construire une station plus moderne et plus luxueuse pour attirer une clientèle touristique par exemple. Bon, c’était sans doute un peu loin de tout pour un voyage d’agrément mais je suis sûr que pas mal de gens aimerait vivre ici si c’était mieux aménagé et plus sur. Après tout, c’est déjà une planète. Même si la température ne dépasse pas les -30 et qu’il n’y a pas un pet d’oxygène, ça a tout de même un certain cachet. Je soupirais et me tournai vers mon ami.

« C’est vrai que tu est pénible avec ton drone »

Il n’allait pas s’y mettre aussi. Personne ne pouvait reconnaître l’importance de ma tâche ou quoi.

« Qu’est-ce qu’il a ? » continua-t-il en désignant Martel

Quinze ans. Je n’allais pas m’étaler sur les crises d’adolescence de Martel. Il remettait toujours tout en cause, juste pour le plaisir de contredire. Bref, la psychologie, c’est pas mon truc. Nous n’étions plus que tous les deux avec Marco et ça tombait bien. Moi aussi j’avais besoin de me confier. « Tu sais garder un secret ? »

Il se rapprocha de moi s’appuyant sur ses coudes. Il avait complètement oublié le petit « C’est moi ! » dit-il.

Ca voulait dire oui. Je pouvais lui faire confiance.

Je pense que Nanti a la folie des grandeurs.

Marco se laisse aller en arrière en riant. « Ca n’a rien d’un secret, tout ceux qui le connaissent le savent. N’est-ce pas pour cela que vous l’avez surnommé Maître Nanti ? »

Je lui fis signe de baisser d’un ton et d’arrêter de se foutre de moi.

On l’a appelé Nanti parce que c’est un privilégié. Il avait un vaisseau à lui seul et un paquet de pognon suffisant pour monter un équipage. C’était un Nanti. D’où son nom. Et on dit maître Nanti car il veut toujours tout diriger.

« Parce qu’il n’a pas de nom à lui ? »

Si, je l’ai su mais j’ai oublié. Et il aime bien qu’on l’appelle ainsi. Enfin, je crois.

Bref, là n’est pas la question. Enfin dans un sens si. Il aime se faire appeler maître ou patron mais il est tout ce qu’il y a d’opposé à l’esclavage. La preuve en est du petit Martel. Je t’avais confié que c’était un esclave ?

« Oui et t’inquiète, il est hors de question que je le dénonce, c’est un bon petit gars ».

Oui, et Nanti aurait pu toucher une belle prime en le dénonçant mais il a préféré non seulement le garder mais lui donner un vrai salaire comme n’importe quel homme libre.

« Il a raison, c’est injuste l’esclavage. Ca va pour les clones qui sont conçus pour ça mais Martel, il est intelligent, ce doit être le descendant d’une prise de guerre. C’est malsain de faire payer ainsi la descendance.

- Ouhai. Mais Martel, il nous est tombé dessus sans faire exprès pendant la guerre. Ses maîtres sont morts, sans doute a-t-il été notifié comme décédé. Le risque était minime. Là, Marvin lui a monté la tête.

Je t’ai déjà parlé de Marvin ?

« Le sorcier qui vous fournit en attrape nigaud ? »

Shaman de bas étage et on garde le titre de Sorcier pour vendre plus cher ses marchandises.

« Vous devriez arrêter de commercer dans la magie, c’est un marché qui s’écroule. Plus personne n’a du fric à dépenser dans de l’illusion. Les gens veulent du concret qui se mange ou qui se boit de préférence. Un truc qui fait vivre. »

Désolé de te détromper mais nous avons trouvé un filon pour investir les vaisseaux croisières de ses parvenus qui voguent sur l’or.

« Comment ? »

Je ne vais pas te révéler tous nos petits secrets, déjà celui dont je vais te parler est le pire.

Là, j’avais toute son attention. J’en profitai pour cracher le morceau : Nanti veut se payer un sorcier pour se protéger des indépendantiste. Et pas un genre Marvin, un vrai.

« Mais outre la rareté de la chose, il sait le prix que demande ce genre de mercenaire ? »

Oui, il sait le prix que ça coûte et bien sur que non, nous ne l’avons pas.

Marco attendait. Je me délectais de finir doucement mon verre. Je voulais lui parler de ça car j’avais besoin de me défouler avec quelqu’un qui comprenne mon point de vue. Qui puisse me soutenir, dire à quel point c’était de la folie. Ca ne changerait rien, mais ça m’aurait fait du bien. Je n’avais pas pensé au plaisir que ça me procurerait de le voir si curieux d’entendre mon histoire. Ca me donnait un petit pouvoir sur lui, ma foi, bien agréable.

Donc Marvin lui a parlé d’un coup totalement dément. J’ignore comment il a un vent de cette histoire et je te passe les détails mais nous sommes en route vers la planète Kelly pour voler une sorcière, esclave des Sylphides.

Je lui aurais bien dit les détails mais Nanti m’avait jeté dehors avant de les connaître mais ça je ne pouvais décemment pas le dire à Marco.

J’avais attendu exprès qu’il soit en train de boire pour révéler ça. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Il s’étrangla, se mit à tousser, est devenu tout rouge avec même quelques larmes aux yeux, puis s’est calmé, et maintenant, il inspire profondément et dit la seule chose logique : « Il est malade ! »

Je pense aussi.

« Mais les Sylphides ne sont pas humain. »

Je sais oui.

Les Sylphides font partie de ses trois races dites intelligentes qu’on côtoie. Il y a les cooques, des sortes de mollusques ignobles qui ont été classifiés comme êtres intelligents à mon avis un jour que les scientifiques avaient un coup dans le nez car ce ne sont rien de plus que des animaux visqueux qui en sont encore au stade de la division cellulaire pour se reproduire, les lames qui nous ont presque laminés il y a 500 ans mais qu’on tient à l’écart du système aujourd’hui et qui parasitent la frontière et les Sylphides qui vivent sur leur planète d’origine Kelly et qui pour eux le terme intelligent est malheureusement très adapté. L’avantage pour nous, c’est qu’ils sont immatériels et un nuage de gaz vaguement coloré n’a jamais fait de mal à personne. L’inconvénient c’est que, comme ils ne sont pas cons, ils ont réussi à pervertir une véritable armée humaine à leur service, ils se sont procurés des vaisseaux car même s’ils peuvent traverser l’espace, ils ont besoin d’oxygène, de souffre et de lumière. Il y a quelques générations tous les grands scientifiques venaient les consulter. Avec Leurs esprits géniaux, ils résolvaient les problèmes les plus complexes moyennant des sommes de crédits incroyables. C’est même eux qui ont conçu les premières IA. A l’époque, nous avons beaucoup ri n’imaginant pas à quoi ils utiliseraient cet argent. Maintenant on plaisante moins en voyant leur flotte et les mercenaires qui les servent. Même le clan de Valence préfère tolérer leur présence tant qu’ils se cantonnent à leur territoire. Heureusement, c’est réciproque. Ils n’osent pas se lancer dans une guerre ouverte s’opposant au système. Sur ce point, j’admets, si nous n’avions pas un gouvernement commun, sans doute la flotte Sylphide nous aurait posé de sérieux ennuis. Mais pour l’instant, nous avons un accord tacite. On leur fout la paix, ils nous foutent la paix. Après, bien sur, même si Valence a interdit toute transaction avec eux, il se trouve encore des fous très riches et inconscients pour aller les payer pour qu’ils résolvent leurs problèmes aussi ils sont de plus en plus puissants mais en général, ils n’ont pas plus envie de nous côtoyer que nous de les côtoyer.

Marco était resté silencieux. Il réfléchissait. Tout d’un coup il se lança et pointa un doigt vers le haut. « Premièrement, ils interdisent l’accès à leur monde à la plupart des humains. »

Sur ce point, Nanti m’a paru très confiant, je crains qu’il ait un plan.

Marco ne se démonta pas et leva un autre doigt. « Deuxièmement. Ils ne communiquent que par télépathie avec des télépathes ».

Je secouai la tête. « C’est une légende ça. Ils s’expriment par télépathie mais avec n’importe qui et nous comprennent très bien. C’est juste que souvent ils nous considèrent comme trop indignes pour qu’ils prennent la peine de communiquer avec nous ».

J’avais épaté Marco par ma science là. Comme quoi, s’ennuyer au point de se retrouver à potasser les documents intello de maître Nanti, ça sert.

« Le résultat est le même, ils ne voudront pas parler à Nanti sauf s’ils sont sur qu’il a les moyens de cracher un bon paquet de pognon et crois-moi, ils ont les moyens de jeter un œil, si je puis m‘exprimer ainsi, sur le compte bancaire de n’importe qui. »

Faut espérer, ainsi, on sera proprement mis dehors. Tu imagines si Nanti réussit, c’est un coup à se mettre toute la flotte de mercenaires au service des Sylphides sur le dos.

« Pas sur, si ça se trouve, une humaine en moins, ils ne le remarqueraient même pas. »

Une dissimulatrice et créatrice d'ombre en plus.

Marco siffla « ha oui quand même, c’est un joli morceau. Mais les Sylphides se fichent de dissimuler quoi que ce soit. Au contraire, ils étalent leur pouvoir. Par contre vous, vous jouez avec le feu. Les sorciers ne sont pas justes des petits gars à qui on met un implant supplémentaire. Ils ne sont pas normaux. Tu es un technicien, un mec concret. Faut pas faire confiance en des gens qui font des trucs pas scientifiquement explicable parce qu’on ne me fera pas croire que leur implant psychique explique tout. Ils remuent des trucs pas nets en tâtonnant dans des réalités qu’on ne maîtrise pas et ça leur détruit la cervelle ».

C’est qu’il me fichait la trouille là, encore plus que ce que j’avais déjà

« Et au fait, je croyais que Nanti était contre l’esclavage ? »

Oui, je suppose qu’il veut lui donner le même statut bancal qu’à Martel. Une vie libre mais avec une fausse puce d'identité et un salaire dans nos moyens qu’elle pourra piocher sur le compte de Nanti.

« C’est pas con. Si cette fille s’enfuit, elle prend le risque d’être ramenée aux Sylphides contre récompense ou au mieux être prise comme esclave par quelqu’un d’autre. Donc, elle restera et une Sorcière à bas prix, ça peut vous rapporter gros. Bien sur, faut pas qu’elle se retourne contre vous. »

Tu ne vas pas t’y mettre ! Je cherchais un soutien, quelqu’un de sensé plaignant ma mort prochaine mais au fond son enthousiasme était agréable et pendant une seconde je me voyais dans le potentiellement innocente refait à neuf avec salle de projection géante et une cargaison de pierres rares, de tissus et autres babioles inutiles mais qui se vendraient à prix d’or et ma commission qui montait, montait. Mon moral monta en même temps, atteignit des sommets et retomba aussi vite. A quoi ça sert si nous sommes tous morts ?

« Je ne pense pas que ce soit si fou en y réfléchissant. Les Sylphides ont un gros défaut, ils s’imaginent qu’ils sont si puissants que personne n’oserait les attaquer. Ils envoient leur mercenaires un peu partout mais je ne crois pas que leur base soit réellement une place forte. J’ai capté une transmission entre deux Intelligences Artificielles qui échangeaient des informations sur les Sylphides et de ce que j’ai appris, j’imagine mal qu’ils déploient toutes leurs forces pour retrouver une esclave. »

T’occupes toujours tes temps libre au piratage et décodages de transmissions illégales ?

Marco hausse les épaules. « On s’occupe comme on peut. Les divertissements sont rares sur la Froide »

Si elle est vraiment très puissante, ils ne la lâcheront pas et ça, tes IA ne le prendront pas en compte. Ces machines ont été conçues avant le développement de la magie et n’y comprennent rien dans l’exploitation de ce domaine. Comme tu l'as dit, pas assez logique.

« Si elle est puissante mais qu'elle se barre, c'est qu'elle n'est pas fidèle, ils ne pourront pas compter sur elle. Surtout une dissimulatrice. Ils ne tenteront pas de lui demander de cacher un vaisseau qu’elle pourrait laisser voir à l’ennemi histoire de se faire récupérer. Non, si ils la retrouvent, ils la feront tuer proprement. Donc, à partir du moment où elle est partie, elle ne vaut plus rien. Après, sans doute voudront-ils la retrouver et la faire tuer comme exemple mais de là à mettre la flotte en branle bas de combat pour ça. »

Je n’avais pas vu ça ainsi mais son raisonnement me paraissait logique. J’approuvai de la tête.

Mais, toujours si elle est puissante, ils pourraient déployer leur force pour éviter qu’elle ne passe à l’ennemi.

« Absurde » dit Marco directement. « Les sylphides ne se laissent pas abuser par une petite magie humaine. Les pouvoirs d’une sorcière n’auraient aucun effet sur eux et comme tous leurs vaisseaux ont au moins un Sylphide à bord, elle pourra se retourner contre eux sans plus d’effet qu’une poussière. La seule magie qu’ils craignent chez les humains est celle de Calice et si ta sorcière leur arrivait à la cheville, ils l’auraient proprement fait tuer. »

Je dois admette que ses propos étaient rassurant. Je m’étais souvent dit que Marco aurait pu trouver mieux que se geler sur cette boule de glace malsaine. Il venait encore de m’en donner la preuve. Quand je suis revenu au potentiellement innocente, je suis passé trois fois devant le vaisseau avant de le reconnaître. Enfin même pas, ce que j’ai reconnus, c’est Charlie, Thymothe et Echo, tout trois bouche bée devant un grand vaisseau blanc et bleu fraîchement repeint tranchant au milieu de vaisseaux noirs plus discrets. Mais c’est le potentiellement innocente me suis-je écrié.

Les autres ont approuvé de la tête, trop abasourdis pour dire un mot.

Une voix s’est élevée derrière nous. « Non, c’est le nuage d’été. En provenance de la belle d’été. »

Nous nous sommes retournés en chœur pour voir Nanti.

« Du moins provisoirement. »

Aïe, là, nous faisions un grand pas dans l’illégalité en dissimulant l’identité réelle du vaisseau sur une large échelle voire deux si ce nom existait déjà et que nous faisions de l’usurpation d’identité. Ce qui était sûrement le cas car les Sylphides vérifient sûrement l’identité des vaisseaux en approche.

Un flot de questions sortit de la bouche de mes camarades. Nanti est passé au milieu d’eux sans un regard. « Explique leur » a-t-il fini par dire en me désignant d’un geste de dédain.

Je ne sais pas si je dois me réjouir d’avoir l’attention générale ou me désoler car les reproches qui vont fuser seront pour moi. Ce n’est peut être pas la peine d’enregistrer la suite.

J’ai répété encore une fois l’histoire. Celui qui a réagi le plus vivement, ce fut encore Martel criant que c’était la pire idée que Nanti ait jamais eu. J’étais d’accord mais je me suis évertué à répondre aux questions en reprenant les réflexions que m'avaient apporté Marco et arrivais presque à convaincre Echo. Charlie de son coté était positivement ravi depuis le début. Il s’est lancé dans une apologie de la culture Sylphide parce qu’ils concevaient les hommes à leur service comme une sorte de cheptel qu’ils s’évertuaient à améliorer à chaque génération et qu’il était sur que ses expériences sur le clonage amélioré seraient appréciées par ses monstres à leur juste valeur puis, Il s’est précipité pour retrouver Nanti à l’intérieur et lui faire part de ses réflexions sur le sujet. Il est malade Charlie.

Voila qu’il voulait commercer avec les Sylphides afin de leur donner de quoi renforcer leurs armées qu’ils lanceront ensuite contre nous.

Thymothe a réagi moins vivement que je ne l’aurais cru se contentant de dire qu’on pouvait faire ce qu’on voulait, qu’il ne sortirait pas du vaisseau et que si une de ces boules de gaz s’approchait, elle tâterait de sa nouvelle mitraillette. Je lui ai fais remarquer qu’à part faire des trous dans le vaisseau, ça n’aurait pas d’autres effets et il a fait la grimace prétextant qu’on ne pouvait nommer : « civilisé » un peuple qui ne mourrait pas dignement avec une arme de ce prix.

Martel a argumenté en gueulant les failles de ce plan, exigeant des détails que Nanti avait comme à son habitude omis de transmettre et concluant par l’idée que les sorciers étaient des êtres malfaisants et que même si, par miracle, on réussissait cette mission suicide, se serait encore pire car on se retrouverait avec une sorte de monstre sanguinaire qui n’hésiterait pas à nous jeter dehors pour prendre le contrôle du potentiellement innocente. Bien, merci Martel. Sans doute devrait-il faire un tour hors du champ de force tâter un peu la glace, lui. Un peu de vent frais lui remettrait les idées en place.


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