dimanche 25 novembre 2007

Chapitre 4

4

14/02/3023 Datation légale de Valence.

15H12 / 24 : horaire du vaisseau potentiellement innocente

Journal de bord du potentiellement innocente :

Nous nous sommes arrimés à la base SO.V12. SO pour station orbitale car elle tourne autour d’un soleil suivant une orbite fixe et V pour : loin de tout. La station SO.V12, c’est un peu notre port d’attache. Malgré son éloignement du centre du système c'est une station animée et plutôt sécurisée. Le regroupement de plusieurs bases lui donne une allure un peu fouillis qui lui procure une originalité appréciable et à force de grossir, elle est devenue un centre qui a dépassé les 10 millions d’habitants. Ca peut paraître faible mais pour une station périphérique, c'est déjà pas mal. Son orbite courte autour d’une étoile de petite dimension lui procure une température agréable grâce à de simples panneaux solaires et la vie y est dans l'ensemble paisible avec une délinquance réduite et un ravitaillement correct quoique peu diversifié. Grâce à son éloignement, on lui fout une paix royale pourvu qu’elle ait l’air de suivre les réglementations en vigueur. C’est de là que vient Thymothe. Au début il nous a fait rencontrer ses amis qui sont devenus aussi les nôtres et nous sommes une bonne bande à nous retrouver avec plaisir. L’endroit n’est pas trop mal famé mais pas pédant non plus et on y a nos principaux fournisseurs : des gars honnêtes ou presque, en qui on a confiance. Ou du moins avec qui on peut marchander. Les taxes d’appontages ont encore augmentées. Je fulmine. Si nous n’avions pas été attaqué, j’aurais maintenant les poches pleines et je jouerais les seigneurs en distribuant pourboires sur pourboires. Il s’est trouvé un décalage certains entre mes projets et ceux du Maître Nanti. J’avais dans l’idée de passer la soirée dans un lieu sympa, genre hospitalier avec à boire et des filles. On aurait rameuté les copains et on se serait consolé avec quelques jolies filles. J’en ai parlé à Thymothe et il était prêt à m’accompagner. De toute façon, il est toujours partant pour une virée. Même Echo comptait venir. Le problème c’est que le Patron avait dans l’idée qu’on profite de la halte pour bichonner le potentiellement innocente et que moi, je devais l’accompagner pour réapprovisionner. Il a décrété que c’était une honte de demander une telle taxe à des clients réguliers et que si on voulait prendre du bon temps et traîner, ce ne serait pas ici. Il exagère. D’accord, on a perdu un bout de la cargaison mais on a très bien vendu le reste. Le compte n’est pas encore au plus bas, on rentre dans nos frais avec même quelques bénéfices et avec quelques vaisseaux croisières à arnaquer, on sera vite riche. Le patron ne m’a pas écouté. De toute façon il ne m’écoute jamais.

Nous sommes passés devant plusieurs de ses endroits si hospitaliers que j’évoquais plus haut mais sans nous arrêter. Pourtant Martel aussi se tordait le cou pour voir se déhancher les filles en petite tenue dansant sur une estrade ou couchées dans des poses aguichantes dans de grands sofas. C’est qu’il grandit le môme. A bord du vaisseau croisière Soleil artificiel, j’ai pensé qu’il tâterait une ou deux de ces minettes qui lui faisaient les yeux doux mais non. Il m’a dit un truc bizarre, que se serait de l’abus de confiance car ces filles ne voyaient en lui quelqu'un qu'il n’était pas.

Je ne sais pas ou il a attrapé cette moralité. En tout cas, ça ne vient pas de chez nous. Nous vivons d’abus de confiance. Je le lui ai fait remarquer et un petit gars avec un implant A peut se donner tous les titres qu’il veut. Faut juste qu’on évite de lui demander une preuve de son identité et en général on ne le demande pas. Il a soupiré mais pas répondu. Je crois qu’il y a une fille qui a du l’émoustiller. Il n’y a que les filles qui peuvent nous faire inventer une morale afin de mieux la mettre de coté pour elles.

Le patron a frappé comme un malade à la boutique de Marvin. Marvin est notre fournisseur préférentiel. En général il se passe du temps avant de le revoir car le temps de vendre sa marchandise, nous sommes loin et nous rechargeons autre part. Il va être étonné de nous revoir si vite. Enfin s’il est là.

C’est un Shaman. Un sorcier mineur comme on dit. Marvin ne sera jamais rien d’autre qu’un simple shaman d’une efficacité modéré malgré tous les implants d’amplificateurs psychiques dans lesquels il met ses bénéfices mais on fait avec ce qu'on a.

Ca y est, il ouvre la porte et donne un coup de poing à mon pauvre drone d’enregistrement qui voletait négligemment en orbite autour de moi selon le programme que je lui avais imposé. Ce qu’il peut être rustre ce Marvin

« Barre ce parasite ! »

Bonjour à toi aussi Marvin. Je comprends qu’il ne veuille pas que je l’enregistre, il a une tronche à faire fuir un Cooque, à croire qu’il sort du lit. Je pense que c’est le cas d’ailleurs vu qu’un matelas emplit toute la surface libre de sa minuscule échoppe. Je le rassure de suite je n’ai que le son, l’image est en rade, tu ne vends pas d'enregistreur graphique ou au moins une carte que je pourrais bricoler ?

Il me regarde avec un air de pitié du style qui veut dire : si tu t’imagines que nous avons de tels gadgets sur notre base miteuse loin de toute civilisation. Marvin n'aime pas cette station pourtant accueillante. C'est un citadin dans l'âme et il ne serait pas contre se retrouver dans une station centrale avec au moins un ou deux milliards de pecnot. Malheureusement pour lui, il n’a pas le talent nécessaire pour survivre au milieu d’une profusion de concurrence plus douée que lui ni les moyens d'un loyer dans ce genre d'endroit.

Il remonte le matelas qui s’incruste dans le mur pour faire de la place. « Que faites-vous au milieu de la nuit ? »

Les données numériques genre horaire, date, calcul binaire et opérations semi complexe, je les ai en implant. Seul petit avantage que le patron a daigné m'accorder après force de négociation. C'est que je ne peux pas dépendre du vaisseau pour tout. En cas de panne, comment je répare moi si je ne peux pas analyser la situation. : « Dans le potentiellement innocente, il est 16h.

« Ouhai ben ici, c’est la nuit. »

Toujours déstabilisant ces stations uni faces avec des soleils qui ne se couchent pas. Comment les pauvres nomades comme nous peuvent-ils avoir des points de repères ?

« Tu as jeté un œil sur ton compte ? » lui lance Le Maître Nanti

« Minou mon compte. »

Minou, voila bien le nom le plus stupide que je n'ai jamais entendu pour un ordinateur.

Voila que Marvin n’est plus du tout fatigué. C'est fou Comme l’argent soigne même le manque de sommeil

Je reluque discrètement à la recherche d'un hologramme. Je serais bien intéressé de savoir combien ce forban se met dans les poches histoire de voir si c'est plus ou moins que moi. Rien, pas le moindre écran. Le monsieur a donc de quoi se faire implanter un écran de donnée plus élaboré que le mien si il peut y intégrer ses comptes. N'empêche que si je devais vivre dans neuf mètres carré, moi aussi j'aurais besoin de me rajouter un peu d'espace en virtuel.

« Quand je vous ai vu revenir si vite, j’ai pensé que ma marchandise avait filé dans un vaisseau indépendantiste.

- la marchandise a en effet été détournée » dit le Maître Nanti, « mais un indépendantiste n’en a rien à faire de tes breloques. »

Je vais rajouter mon grain de sel : Tes talents de Shaman ne t’ont pas prévenu que c’était ton jour de chance ?

Il hésite et lance un œil à Martel. Évidemment, il n’est pas prêt à avouer ses faiblesses devant n’importe qui.

« C’est Martel » dit le patron.

Ca, ça le surprend. « Le petit gars que tu as récupéré mais il était haut comme ça ! »

Il montre son genou. Il ne faut pas pousser, c’est vrai que le patron n’amène pas Martel participer aux transactions d’habitude mais depuis qu’il nous fait gagner de l’argent, il se prend pour un grand et a dit à Nanti qu’il voulait apprendre l’art de la négociation.

« Qu’est-ce que tu deviens petit Gars ? »

Le Maître Nanti ferme la porte de la boutique. Il n’est pas venu que pour négocier on dirait.

« On est associé ? » demande-t-il.

« Houlà, ce n’est pas une bonne idée ça. On ne peut pas faire confiance en Marvin. »

Je reçois deux paires d'yeux incendiaires du Maître Nanti et de Marvin et je comprends que la pièce est trop petite pour pouvoir marmonner discrètement mes commentaires dans un coin sans me faire entendre. Dans le prochain monde civilisé, je m’offre un implant psionique afin de pouvoir scanner directement mes ondes cérébrales. Ainsi je ne me ferais plus insulter quand j’enregistre mon journal pour la postérité.

« On ne peut pas continuer ainsi. A peine on gagne trois crédits qu’on est repéré et bouffé par les indépendantistes.

- Plains-toi à Valence, ils t’enverront une patrouille. »

Nanti lui jette un œil noir. « Si Valence fourre son nez dans nos affaires, ils nous prendront encore plus que ces pilleurs à coup de taxes et impôts en tout genre. »

Il n'avait pas tord le patron. Que Valence se bouffe le nez avec les autres corpos, c'est leur problème mais on commence à en avoir marre de taxer pour rémunérer leurs interminables prises de bec.

- C’est la vie » soupire Marvin. « L'être humain n'est pas programmé pour vivre en paix. Puisque ces incultes d'indépendantistes ne s’intéressent pas à ma marchandise, profites-en, je vais faire un effort sur les prix mais c’est bien parce que c’est toi. J’ai un nouveau stock de charmes pour attirer la chance. Profite en. En plus tu es tranquille maintenant, ils attendront que tu te sois bien renflouer avant d‘attaquer à nouveau.

- Marvin, » reprend Nanti agacé, « si des sorts pouvaient attirer la chance, je les achèterais pour moi.

- C’est sur » avoue Marvin « mais on trouve encore pas mal de gens qui sont prêt à payer le prix pour ce genre de breloque et au fond, si ils y trouvent leur compte...

- J’ai dit Non. J'en ai marre des sorts de chance »

Un non comme ça, on n’intervient pas. C’est que Nanti a parfois un sens de la morale sorti de nulle part. Une fois il nous a même sorti que ce n’était pas honnête devant une supercherie de Marvin. Comme si le reste était honnête.

« Il me reste quelques charmes de séduction. Très efficace, quand tu le portes, ça agit sur le charisme ! Personne ne peut te résister. Beaucoup de succès avec les gamines. »

Marvin comprendra vite un truc, quand Nanti est de mauvaise humeur, on ne fait pas de bonnes affaires. Le patron n’a même pas eu besoin d’ouvrir la bouche.

« Oui, bon » a rectifié Marvin. « Bien sur, il faut y être réceptif et être pas trop moche à la base mais ça donne confiance en soi et allié à la chirurgie de Charlie, ça fait un package correct. Il ne s'est pas lancé sur le marché de la stabilisation cellulaire celui-là ? Tu as des gars qui sont prêt à payer le paquet pour garder une apparence de petit minet ? ».

- Charlie est un bon à rien, pour faire de la chirurgie plastique assisté, il se débrouille a condition que le potentiellement innocente gère le gros de l'opération. Ses talents s'arrêtent là. »

Martel y a mis son grain de sel : « Les filles des vaisseaux croisières adorent les breloques pour séduire. »

Nanti lui a fait le regard qui tue, il n’avait pas dit à Marvin que nous nous étions lancés à l’assaut de la clientèle si particulière des vaisseaux croisières, il augmenterait ses prix. Heureusement, ce dernier est fourré la tête jusqu’au cou dans une caisse de talisman en tout genre et n’a rien entendu.

« Je prends les charmes » dit Nanti en haussant la voix « mais tu me fais dix pour cent par rapport à la dernière fois.

- Je compatis au malheur du potentiellement innocente mais si je devais réduire mes tarifs à tous ceux qui sont font doubler par des indépendantistes, j’aurais fait faillite depuis longtemps.

- Ne joue pas à ça avec moi. Nous sommes les seuls à exporter tes marchandises et si tu devais vendre ça sur la station, ça te prendrait des mois. Tu me prépareras aussi des gris gris contre les esprits mauvais.

- Je croyais que tu ne voulais pas d’arnaques ? Tu ne vas pas me faire croire que tu crois aux esprits ?

- J’estime que leur efficacité est certaine. Quelqu’un qui croit aux esprits se sent en sécurité avec ses babioles et pensent que les esprits ne les attaqueront pas. Et en effet, ils ne le font pas puisqu’ils n’existent pas. »

Je fronçai les sourcils, je n’avais rien compris. Marvin réfléchissait lui aussi. Son visage finit par s’illuminer. « Pas bête, ça va me faire un nouvel argument de vente ça. Attends, répète que je le charge dans mon registre mémoire. Et tu dis que c’est honnête ? »

Ok, il n’a rien compris lui non plus. Ca me rassure.

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